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leur fortune ; mais c’était l’exception. Plusieurs intendans signalèrent ce défaut : quelques-uns indiquèrent même comment on pourrait rendre l’impôt proportionnel, en imitant ce qui se faisait dans beaucoup de villes, où tous les habitans, privilégiés ou non, étaient imposés, à raison de leurs facultés contributives, pour les dépenses extraordinaires des cités. On se borna à remédier au mal en diminuant quelques taxes après la confection des rôles ; mais, dans ces réductions, ordonnées arbitrairement par les intendans, la faveur eut plus de part que la justice. Elles compromirent le principe même de l’impôt et son produit.

La capitation ne donna pas, en effet, ce qu’on avait espéré. Le recouvrement fut difficile et les non-valeurs très nombreuses. Au lieu de 30 millions, les rôles de la première année ne produisirent que 22,700,000 livres. Ce chiffre se maintint à peu près pendant les trois ans et demi que dura cette première capitation. Or, depuis 1689 jusqu’à et y compris 1695, on avait émis 9,500,000 livres de rentes, et les affaires extraordinaires, sinon réalisées au moins engagées, montaient à 283 millions, dont les intérêts, calculés au denier 18 seulement, s’élevaient à 15 millions : il y avait en tout 24 millions 1/2 d’arrérages annuels à payer. Le nouvel impôt ne suffisait même pas à assurer le paiement de cette somme et ne pouvait fournir aucune ressource pour les dépenses de la guerre.

L’engagement du roi de faire cesser la capitation à la paix fut scrupuleusement tenu ; mais la guerre de la succession d’Espagne ne tarda pas à la faire rétablir. Le 12 mars 1701[1], le roi expose à la nation la situation politique et militaire de son gouvernement, et les ordres qu’il a donnés pour réunir des armées dont la dépense excédera de beaucoup ses revenus ordinaires. « Il se trouve donc dans la nécessité d’avoir recours à des fonds extraordinaires qui soient moins à charge à ses sujets que les secours qu’il a été obligé de se procurer dans la dernière guerre par des traités dont plusieurs subsistent et n’ont pu être exécutés qu’avec beaucoup de frais… Entre tous les moyens qui lui ont été proposés et qu’il a mûrement examinés, il n’y en avait pas de plus convenable que de rétablir la capitation, en s’appliquant à la rendre aussi égale qu’il se pourra… Mais, comme il s’est trouvé plusieurs embarras dans la capitation ordonnée en 1695 qui ont donné lieu à des non-valeurs, en sorte que le recouvrement n’a pas produit les sommes nécessaires… sans le secours d’autres affaires extraordinaires, il a résolu, en rétablissant la capitation, de l’augmenter et de fixer celle de Paris et de chacune des généralités aux sommes qu’elles peuvent

  1. Collection Isambert, t. XX, p. 381.