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fut payée par une quantité de métal variant encore, presque à chaque échéance, entre les. termes extrêmes qui viennent d’être mentionnés. L’exécution de toutes les obligations, de tous les contrats, fut soumise aux mêmes oscillations, aux mêmes perturbations. On a peine à comprendre comment la vie civile, et surtout la vie commerciale, purent supporter une telle mobilité dans le signe des échanges, dans la commune mesure de toutes les valeurs.

Les prix des choses ne sont que les quantités d’or ou d’argent contre lesquelles elles s’échangent : ces prix, toujours énoncés en monnaie de compte, devaient varier toutes les fois que la livre, le sou, le denier exprimaient une quantité différente d’argent. Il est vrai que ces variations étaient toujours ralenties et atténuées par les efforts que faisaient soit les producteurs et les marchands, soit les consommateurs, tantôt pour réaliser un bénéfice et tantôt pour éviter une perte ; elles se combinaient aussi avec les circonstances commerciales, qui, indépendamment de la valeur des monnaies, déterminent les prix : l’abondance ou la rareté des marchandises, les besoins et la richesse du public. L’abaissement le plus considérable de la livre, qui devait amener la plus grande hausse des prix, coïncida avec le terrible hiver de 1709 et la disette qu’il produisit : il contribua à accroître l’horrible misère qui désola la France. Dans des années moins malheureuses, dans celles qui auraient été prospères, la mobilité et l’incertitude des prix ne laissèrent au commerce ni sécurité, ni activité.

Les espèces d’or varièrent toujours en même temps que les espèces d’argent[1] ; mais le cours des unes et des autres ne fut jamais assez rigoureusement calculé pour que le rapport de valeur entre les deux métaux ne se trouvât pas modifié presque aussi souvent que ce cours lui-même : quelquefois même, comme en 1701, la valeur légale de l’or et celle de l’argent furent réglées avec l’intention arrêtée et réfléchie de changer ce rapport. Il varia trente-six fois, sans s’élever, il est vrai, au-dessus de 15 fr. 87 et sans descendre au-dessous de 14 fr. 94 ; mais on sait qu’en cette matière délicate, une variation de quelques centimes suffit pour exercer une grande perturbation sur les transactions et sur les mouvemens internationaux des métaux précieux.

À d’autres époques, dans le passé, aux temps de Philippe le Bel, de Philippe de Valois, de Jean, de Charles VI, on avait vu les

  1. Le cours du louis, fixé à 11 livres on 1666, fut élevé à 12 liv. 10 s. en 1689 (la pièce conservant le même titre et le même poids) ; à 14 livres, en 1693 et 1701 ; à 15 livres, en 1704 ; à 20 livres, en 1709 ; mais c’était alors une pièce un peu plus pesante que la précédente : dans l’intervalle, entre chaque réforme, le cours du louis fut successivement et par degrés, réduit à 11 liv. 10 s. avant 1693, à 13 livres avant 1701, à 12 liv. 10 s. avant 1704, à 13 livres avant 1709.