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nous sont certifiées par le témoignage réitéré de Sandrart, qui nous dit positivement que Poussin aimait à se réunir à eux avec François Duquesnoy, le sculpteur. Sans doute, ce dernier était pour le peintre des Andelys l’ami le plus éprouvé, et il composait avec l’Algarde sa société habituelle et intime. Sans pouvoir, comme il le faisait avec ces artistes, causer de son art et des hautes questions qui hantaient sa pensée, Poussin trouvait pourtant à s’entendre avec Claude sur bien des points. Son goût toujours croissant pour le paysage contribuait à le rapprocher peu à peu d’un homme dont le talent grandissait aussi de jour en jour et qu’on savait constamment disposé à aller au dehors étudier la nature. Le plus souvent, il est vrai, Poussin préférait se promener solitaire. Mais parfois aussi, pour des expéditions plus lointaines, le grand artiste se joignait à la bande studieuse dont Claude était le chef.

On partait de bonne heure, à cheval ou dans quelque char loué pour la circonstance, et, dès la première auberge, il pouvait bien arriver qu’on laissât en route les Flamands ou les Hollandais, séduits par un motif à leur goût : une danse rustique, des buveurs attablés sous une treille, ou le coup de l’étrier vidé devant l’ostérie de Porta-Prima[1]. Le gros de la troupe poussait jusqu’à la montagne latine, et, après une bonne journée de travail dont Claude aimait à conserver le souvenir en dessinant quelqu’un de ses compagnons assis à côté de lui sous les grands arbres ou au bord de l’eau, on regagnait la ville, le cœur dilaté et l’appétit ouvert par ces longues stations au grand air. Il ne fallait pas grand incident pour égayer nos voyageurs et, avec ses bouffonneries imprévues, le Bamboche mettait tout ce monde en liesse. Sandrart nous raconte même qu’un jour, — Claude et le grave Poussin étaient de la partie, — qu’on avait chevauché jusqu’à Tivoli, sous la menace de la pluie, Pierre de Laar avait bâté son retour, et, devançant le gros de la bande, était rentré dans Rome. Pelotonné sur sa selle, il traversait les portes de la ville sans être aperçu des gardes. Interrogés par les survenans sur ce qui était arrivé à leur ami, ces gardes répondirent qu’ils n’avaient vu qu’un cheval sans cavalier passant au galop, chargé seulement d’une valise surmontée d’un bonnet ; deux longues bottes, d’une dimension démesurée, pendant de chaque côté, battaient les flancs de l’animal. Après le premier émoi, on se rassura bien vite en reconnaissant à cette description le Bamboche lui-même, qui fut le premier à en rire quand la chose lui fut contée. On aime à voir ces grands artistes se délassant ainsi entre eux de leurs travaux par ces détentes salutaires qui sont, dans la

  1. Ce sont là, en effet, quelques-uns des épisodes reproduits par les artistes hollandais qui vivaient alors à Rome.