Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nature, ils ne visent que la vérité. Les personnages les plus humbles, des paysans, des pâtres, des muletiers, des facchini remplacent les héros de la fable ou de l’histoire et les figures mythologiques ou sacrées qui animaient les poétiques compositions de leurs devanciers.

L’obligation de suffire à ses commandes multipliées absorbait toute la vie de Claude. Pour varier les données de ses paysages, il lui fallait donc recourir aux nombreuses études qu’il avait amassées, sans pouvoir, comme autrefois, réserver une aussi large part de son temps au travail d’après nature. L’eût-il voulu d’ailleurs, il eût été empêché de le faire à cause de la goutte dont il souffrait depuis l’âge de quarante ans. Sans doute, ses stations réitérées dans la campagne avaient contribué à développer en lui cette maladie. Ces heures charmantes du lever et de la tombée du jour, qu’il aimait surtout à étudier et qui lui paraissaient les plus belles, sont aussi, aux environs de Rome, les plus pernicieuses. Avec l’âge, avec l’aggravation de ses souffrances, le peintre était tenu à plus de prudence. Comme dédommagement à la vie sédentaire à laquelle il était désormais condamné, on avait cru jusqu’à présent que, vers la fin de sa carrière, il avait pu, en habitant les hauteurs du Pincio, jouir des vastes perspectives qui de là se déroulaient à ses regards. Aujourd’hui encore, on montre sur la place de la Trinité les deux maisons voisines que Claude et Poussin auraient occupées. Acceptée jusqu’ici, cette tradition, d’après les recherches de Mme Pattison, doit être reléguée au nombre des légendes.

Quoi qu’il en soit, et bien que son mal se fît sentir de plus en plus cruellement, Claude continuait à peindre. C’est à l’âge de soixante-quatorze ans qu’il signait ce tableau du musée de Munich, dont nous avons parlé, exécuté d’une main ferme et sûre, sans aucun indice de lassitude, avec cette vivacité et cette fraîcheur d’impression que la sage conduite de sa vie avait méritées à sa vieillesse. Si, l’année d’après, il terminait son Livre de vérité par cette naïve inscription : « Icy finy ce présent livre, ce jourd’huy 25 du mois de mars 1675 ; Roma, » il ne renonçait pas cependant au travail, car il existe des dessins, — notamment dans la collection de la reine Victoria, — qui sont encore postérieurs, et l’on connaît plusieurs tableaux de lui datés de 1680, entre autres le Parnasse, peint pour le connétable Colonna.

Cette assiduité au travail était pour Claude une habitude et un besoin ; il y trouvait un refuge contre les souffrances et l’isolement de sa vieillesse. Bien des vides s’étaient déjà faits autour de lui, quand Poussin mourait en 1665. Claude n’avait pas attendu cet avertissement pour prendre ses dernières dispositions et régler l’emploi de son petit avoir. Avec cet esprit d’ordre dont il avait donné tant de preuves, dès le 28 février 1663, pendant une