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cette harmonie discrète, l’accord de tant d’élémens divers, la souplesse d’une exécution toujours accomplie, mais qui ne vise pas à se faire remarquer, tout cela ne saurait s’improviser ; tout cela témoigne d’une sincérité, d’une possession de soi-même et d’un amour de son art qui jamais ne se démentent. Loin de lasser, une étude attentive des meilleurs ouvrages de Claude ne fait qu’ajouter à l’admiration qu’ils méritent, et il faut avoir essayé de les copier pour se douter de tout ce qu’ils renferment de perfection.

Quoique compliquée, la technique du maître est saine et méthodique. Bien qu’il revienne souvent sur son œuvre, il ne la fatigue pas, il n’en compromet pas la solidité. Aussi, généralement, sa peinture n’a pas subi les altérations qui, trop souvent, se voient dans celle de Poussin. Ceux de ses tableaux qu’ont respectés les restaurateurs ont gardé intacts leur fraîcheur et leur éclat. Sur des demi-teintes transparentes, les détails y sont spécifiés par des rehauts d’empâtemens qui s’harmonisent toujours heureusement avec le ton qui les supporte et les relie entre eux. Jamais, même quand il oppose la lumière la plus vive à l’ombre la plus intense, le contraste n’est dur ou exagéré ; c’est par des moyens modérés qu’il obtient des effets saisissans. Sans éparpiller son effet, sans souligner une forme, sans faire vibrer un ton pour lui-même, il se préoccupe surtout de l’ensemble, de l’unité d’aspect et de l’harmonie générale. Mais la grande simplicité à laquelle il aboutit est, chez lui, le résultat d’une pratique très complexe. Aussi, malgré les éloges que lui donne Sandrart, nous ne croyons pas que les décorations, peu nombreuses d’ailleurs, que Claude, à son retour de Lorraine, exécuta dans plusieurs palais de Rome, chez le cardinal Crescenzio et chez les Muti, pussent, si nous les voyions aujourd’hui, ajouter beaucoup à sa renommée[1]. Avec ses simplifications forcées, son coloris sommaire et les grands partis qu’il suppose, le procédé de la fresque n’est guère propre à rendre ces aspects délicats et ces nuances, multipliées à l’infini, qui font le charme des paysages du Lorrain. Poussin, à notre avis, s’en serait mieux accommodé, et son grand talent de composition, son dessin magistral, la hauteur même de ses conceptions auraient trouvé un magnifique emploi dans ce genre pour lequel, au début de sa carrière, il avait montré des aptitudes si manifestes.

Aucune des parties de son art n’a été négligée par Claude, et, s’il n’a pas traité les figures avec le même talent qu’il mettait à peindre le paysage, nous savons du moins qu’il prenait soin de régler exactement la place et les dimensions des personnages qu’il introduisait dans ses tableaux. Ces personnages, assez habilement

  1. Ces fresques sont aujourd’hui, sinon détruites, du moins restaurées ou complétées par des adjonctions ultérieures, et il parait bien difficile de se prononcer sur l’authenticité de celles que l’on présente comme étant de Claude.