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changé d’aspect, la taille avait grandi et le geste s’était élargi aux proportions de la vaste salle.

Avec Mario, tout le contraire ; il devisait en amateur et, le moment venu de reparaître, il vous serrait la main et s’en allait retrouver en scène Elvire, Amina, Rosine ou dona Anna, de l’air charmant dont il accostait les belles marquises que ses beaux yeux faisaient mourir d’amour. La vie le comblait de ses caresses et, comme la plupart des favoris de la fortune, il acceptait toutes les avances ; toutes, serait trop dire, car il y en eut dans le nombre que son orgueil de Lovelace repoussa : cette illustre princesse, pour n’en citer qu’une, qui déjà fort sur le retour, l’assiégeait, au vu de tout Paris, de provocations sentimentales. Œillades assassines décochées de son avant-scène, bouquets à domicile et chez le concierge du théâtre, rien n’y faisait. Un malin, Mario voit arriver le secrétaire de la dame qui lui annonce que la princesse aura le soir même quelques personnes de son intimité et qu’elle invite le jeune ténor à venir chanter aux conditions qu’il lui plaira de fixer. Celui-ci consent, et vers dix heures et demie, il se rend à l’hôtel. La grande porte s’ouvre, il entre, la cour est à peine éclairée et, dans le vestibule, au lieu de la valetaille ordinaire, une simple soubrette chargée d’introduire : « Si M. le comte de Candia veut bien me suivre, on est dans la serre, » À ces mots de nature à souffler la défiance et même l’effroi dans l’âme du ténor, la fringante camériste, comme cette nonne du ballet de Robert, l’attire vers le labyrinthe ; puis, tout à coup, elle disparaît, et voilà le chevalier mesurant le piège qu’on lui a tendu. Cette musique improvisée, les invités du cercle intime, pure fantasmagorie ! Mais que va-t-il donc maintenant se passer ? Il se le demandait, très intrigué, lorsque ses yeux s’habituant au crépuscule de l’endroit, aperçurent à quelques pas comme une forme humaine étendue, mais sans voiles, sur un canapé de satin noir. Des palmiers et des mimosas l’entouraient et dans l’enchevêtrement des feuillages veillaient des globes blafards dont la lueur prêtait ses teintes jaunissantes à ce corps de momie impudique, Isabelle endormie à son prie-Dieu avait inconsciemment tenté Robert, mais elle était jeune et jolie, cette princesse, tandis que l’autre était vieille et flétrie, et puis, attrait irrésistible ! Isabelle ne voulait pas, tandis que l’autre voulait, et voulait trop, ce qui désarçonna le chevalier.

Mario habitait en ce temps-là un ravissant petit hôtel de la rue d’Astorg, très à la mode parmi les jeunes lords de l’ambassade d’Angleterre et que le high life parisien fréquentait aussi beaucoup. On y causait tous les matins politique et beaux-arts à table ouverte ; le bric-à-brac tenait également sa place dans le discours, le maître de la maison étant grand amateur ; les vieux meubles amenaient sur