Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/455

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Humoriste à la manière de Callot, de Jean-Paul, d’Hoffmann, à toutes les manières, préludant à sa carrière diplomatique par un cosmopolitisme littéraire et par un dilettantisme universels qui n’étaient point sans grâce, encore gardait-il cet avantage de savoir les langues à une époque où l’on pouvait, comme Emile Deschamps, traduire Shakspeare et Schiller sans connaître un mot d’anglais et d’allemand. Malheureusement, ses moyens de fortune s’opposaient au genre de vie aristocratique où sa naissance et ses relations l’eussent appelé. Jouer les Byron, tâche malaisée ! ce rôle exigeant un ensemble de qualités et de vices qui ne se rencontrent que très rarement. Tel serait assez grand seigneur à qui les écus manquent ; tel autre a les écus sans le prestige ; un troisième, enfin, va se trouver millionnaire et de haute race, et cette fois c’est le talent et la tournure qui brillent par leur absence. Emploi décidément ingrat que celui-là, Musset lui-même y fut déplacé. Théophile de Ferrière l’ambitionnait-il, le regrettait-il, le rêvait-il ? Je ne jurerais pas du contraire ; dans tous les cas, on peut dire qu’il ne persista point, mais la nostalgie vint alors, et les honneurs relatifs que lui valut la carrière, comme nous disions alors et comme on dit encore aujourd’hui, n’effacèrent jamais le sentiment de la défaite infligée à sa nature d’artiste. On ne sait pas assez ce que peut cet amour des lettres : quand il vous tient, c’est pour la vie ; les valeureux n’y renoncent jamais, ceux qui s’en consolent avec des places sont les médiocres. Ferrière ne voulut pas être consolé, et, je suppose, Alexis de Saint-Priest non plus, une autre vocation blessée et traînant de l’aile à travers la diplomatie, la pairie et l’Académie. À ces courtisans mélancoliques de la gloire littéraire la musique, et les Italiens servaient de refuges, le dilettantisme leur était une diversion. Que de choses, en effet, et pour l’intelligence et pour les délices de la vie présente, dans ce vieux mot de Plaute : Musice vivere ! Les Italiens réunissaient tout cela, chacune de leurs représentations mettait le feu aux imaginations, et, le rideau tombé, le lustre éteint, il fallait encore se répandre en belles discussions renouvelées du Neveu de Hameau.

Cependant Mario commençait à s’ennuyer du Barbier et des succès de tout genre qu’il y remportait ; il tendait maintenant plus haut. Un rôle lui restait à prendre du répertoire de Rubini, celui des Puritains, le dernier que le grand virtuose eût créé ; il s’en saisit et triompha par la seule magie d’une voix désormais arrivée à sa perfection. C’était un ténor riche avec des résonances de contraltino, partant du pour s’élever, en sons de poitrine, jusqu’au si naturel, qu’il attaquait et tenait de manière à remplir la salle ; un timbre dont l’enchantement ne se décrit pas, la grâce et l’agilité