Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/469

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui n’est pas même épique, ainsi que ceux-là le sont presque, mais lyrique et, plus encore, pittoresque ; un poème d’ailleurs, où ne sont chantés et dépeints que des objets poétiques ; un poème en vers, dont la plupart sont d’un poète. Il est bien vrai que ce poème se fait réciter sur un théâtre et dans de beaux décors, par de nombreux artistes vêtus de costumes magnifiques ; il est bien vrai que, par endroits, si l’on suit les détours d’une fable enfantine, on est tenté de croire qu’on voit une pantomime militaire, et puis un opéra, et puis une féerie ; le tout se termine par la chute de deux acteurs qui feignent de tomber morts, comme tous les autres, quand ils ont fini de réciter leur partie ; mais ce tout n’est qu’un poème qui ne se donne pas pour un drame. L’auteur, par un caprice ou par un dévoûment bizarre, a pu remplacer dans le principal rôle un comédien fatigué ; il pourrait aussi bien, et le même soir, pourvu que sa voix y résistât, jouer tous les rôles, ou plutôt les déclamer : aucun n’appartient à un semblant de personne humaine ; les vers sont distribués entre tous selon de certains rythmes, — c’est ce qui constitue le dialogue, — mais des morceaux peuvent se transporter de l’un à l’autre indifféremment.

Des qualités de cette poésie on pourrait disputer. Elle est tout éclatante de couleurs, qui sont probablement hindoues. C’est peut-être aussi un orientalisme de fabrique, de ce genre dénoncé par Musset, où s’échafaudent à peu de frais des pagodes,


Avec l’horizon rouge et le ciel azuré.


Le « rosier fleuri » du Bourgeois gentilhomme est peut-être une métaphore aussi authentique en sa modestie que toutes celles qui retentissent dans Nana-Sahib, se précipitent les unes sur les autres et souvent se chevauchent d’une étrange manière. Volontiers dans ce désordre on compare la haine à un palais, qui serait un verger ; on s’appelle entre soi « mon tigre, » et ce tigre est un éléphant ; toute une flore s’épanouit dans ces vers et toute une faune y rugit, sans compter que les fauves se métamorphosent en fleurs et les fleurs en fauves. Il me paraît pourtant qu’il y a là dedans, avec du fatras, de l’abondance véritable ; avec du bariolage, de belles couleurs. Il y a même, dans cette végétation monstrueuse du style, des vers de tragédie qui poussent droit, comme des bouleaux européens dans une jungle ; quelques-uns tout grêles et misérables comme chez Campistron, quelques-uns drus et sains comme chez Corneille.

Tippoo-Raï dit à Djamma :

Tais-toi ! la politique est un art trop caché
Pour qu’on en montre ainsi les ressorts aux princesses.