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A travers la mobilité de ces impressions et la complication de ces intrigues diverses, une seule personne restait immuable et gardait cette tranquillité d’esprit que donne, même dans l’excès de la passion, une résolution inébranlable : c’était Marie-Thérèse. Pas un jour, pas un moment, l’orgueilleuse princesse ne se montra disposée ni à ouvrir l’oreille aux supplications de Fleury, ni à donner les mains aux concessions conseillées par le ministre anglais. Du plan britannique elle acceptait bien ce qui l’accommodait : la coalition à former en Allemagne contre la France, et le partage anticipé des conquêtes de Louis XIV ; mais quant à retirer, sous une condition quelconque, la protestation qu’elle avait faite dès le premier jour contre l’élection de Charles VII ; quant à renoncer par là à l’espérance de couronner un époux chéri ; quant à céder un pouce de territoire, à restituer même la Bavière avant d’être assurée d’une compensation qui la consolât de la perte de la Silésie, c’est de quoi elle n’acceptait pas même la pensée, et dont elle ne laissait pas même Robinson achever devant elle la proposition. « Si je dois céder quelque chose à tous mes ennemis, disait-elle, que me restera-t-il ensuite ? » — « Voulez-vous, disait-elle encore à Robinson avec cette clairvoyance prophétique que la haine seule peut donner, que je fasse moi-même la prépondérance de la Sardaigne en Italie et de la Prusse en Allemagne ? »

Des ouvertures pacifiques de la France elle voulait encore moins se laisser parler. Vainement le maréchal Königseck, le grand-duc et le prince Charles lui-même osaient-ils assez timidement faire observer que le siège d’une place de guerre défendue par vingt mille hommes et deux capitaines comme Broglie et Belle-Isle ne serait l’affaire ni d’un jour ni d’un coup de main, et que, pour reprendre la Bohême, peut-être était-il plus sûr de mettre, sans coup férir, la main sur la capitale. Ces suggestions, faites à voix basse, la trouvaient sourde. Une capitulation sans condition, l’armée française tout entière désarmée, prisonnière, et ses drapeaux portés à Vienne, il ne fallait pas moins pour satisfaire ses ressentimens et pour qu’elle pût vider jusqu’au fond la coupe du plaisir de la vengeance.

Le courroux qui grondait encore dans son âme contre Frédéric, mais qu’elle était obligée de contenir, elle l’épanchait en paroles ardentes contre Belle-Isle et Fleury : « Comment ose-t-il me parler, disait-elle, celui qui a ameuté contre moi, par l’argent et par les