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la halle aux poissons ; elle se pressait non moins dense au forum d’Auguste et sur la place Trajane. Les sénateurs s’étaient joints au cortège ; l’encombrement fut tel qu’on ne put arriver avant la neuvième heure au Capitole.

Est-il nécessaire de le rappeler, entre le Capitole et la roche Tarpéienne la distance n’est pas grande. Aurélien, singulièrement attaché à la discipline et toujours prêt à tirer l’épée, était pour ses familiers d’un commerce difficile. Son propre secrétaire, Mnesthée, noua contre lui une conspiration : tout était prêt ; Mnesthée n’attendait qu’une occasion favorable pour mettre à exécution son complot. Le vainqueur de Zénobie, non content d’avoir réduit les Palmyréens, voulut aussi assujettir, ou tout au moins refouler au loin les Perses. C’était son devoir de général et d’empereur. Il rassemble une armée formidable et se met de nouveau en marche pour l’Asie : il ne devait pas même arriver à Byzance. Un certain Mucapor, soudoyé par Mnesthée, assassina le vainqueur de Palmyre dans une bourgade obscure, à mi-chemin de Byzance et d’Héraclée. « Ainsi finit, dit son historien, ce prince plus utile que bon. » C’est déjà quelque chose, quand l’empire tremble sur sa base, d’être un prince utile. Aurélien régna six ans moins quelques jours. Au temps où il vivait, pareille fortune pouvait compter pour un long règne.

Le sénat et le peuple mirent six mois à le remplacer : jamais conclave ne fut aussi long à prendre une résolution. On cherchait, on hésitait ; on eût voulu trouver un empereur sans défaut. Les soldats demandaient un prince au sénat, le sénat renvoyait ce choix à l’armée. « Songez donc enfin à vous décider ! disait très sensément le consul de Rome ; croyez-vous que le monde puisse se passer de maître ? Nommez à tout hasard un empereur : l’armée ratifiera votre élection, ou elle en fera une autre. » Sur cette injonction, qui eût pu prendre bientôt l’accent de la menace, un sénateur, — Tacite, — se préparait à émettre son avis : on lui ferma la bouche. « Que les dieux vous protègent, Tacite ! c’est vous que nous faisons empereur. — Mais je suis un vieillard, protestait le malheureux. Regardez ces bras : les croyez-vous de force à lancer un javelot, à brandir une lance, à soutenir le poids d’un bouclier ? Serai-je même capable de monter à cheval, de donner l’exemple aux soldats ? C’est à peine si je puis encore remplir mon devoir de sénateur. — Tacite, c’est la tête et non le corps qui commande ; c’est votre âme et non votre corps que nous voulons élire : les soldats combattront pour vous ; il suffira que vous leur ordonniez de combattre. »

Tacite avait soixante-dix ans quand il fut élu empereur. Il s’était enfui à Baïes, dans l’espoir d’éviter le périlleux honneur qu’on lui décernait : les sénateurs allèrent le chercher à Baïes, le