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ecclésiastique. L’un et l’autre, d’ailleurs, entraient au conseil simplement avec droit d’assistance et de vote sans département qui leur fût propre. Fleury avait donc cherché des auxiliaires pour le soulager de la fatigue de commander, sans le contrôler ni le contenir. « Il s’est donné, dit dans son journal le frère même d’un des nouveaux ministres, le caustique marquis d’Argenson, des auvens dont il avait besoin dans le conseil. » Et pour que personne ne se méprît sur le caractère de la mesure, les lettres-patentes accordées au jeune Chauvelin lui furent brutalement retirées quinze jours après seulement leur expédition. Il fut clair alors que, pour régner lui-même, s’il en avait conçu le désir, le roi était résigné à attendre que la mort se décidât à remplir son office. Tout le monde baissa la tête, sauf les plaisans de Paris, dont rien ne pouvait plus contenir les mauvaises langues. Ils raillèrent sans pitié les deux prêtres qui envoyaient une armée de frères mathurins à la rédemption des captifs. Les mathurins étaient un ordre spécialement consacré au rachat des prisonniers faits par les corsaires barbaresques[1].

L’armée envoyée ainsi sous d’assez tristes auspices n’en partit pas moins dans les derniers jours d’août avec entrain, et aux cris de : « Vive le roi ! » La nouvelle de son approche produisit dans toute l’Allemagne une profonde impression. L’empereur, tiré d’inquiétude, sauta presque au cou du résident qui venait la lui annoncer ; Frédéric (sans sortir de son rôle de spectateur indifférent) fit à Valori des complimens un peu contraints, mais qui avaient l’air sincère. Il se montrait seulement incrédule sur l’énergie avec laquelle cette résolution généreuse serait soutenue ; et comme Valori lui représentait que la prudence aussi serait nécessaire pour ne pas compromettre la dernière ressource de la France : « Ah ! mon ami, lui dit-il, de la prudence, vous en avez assez montré ; si vous essayiez de la vigueur, peut-être vous en trouveriez-vous mieux. » Bref, toutes les intrigues engagées s’arrêtèrent, toutes les amitiés ébranlées se raffermirent, et chacun mit en panne pour attendre ce que la fortune allait décider de cette nouvelle épreuve[2].


II

Il était temps d’en courir la chance, car la situation des Français dans Prague s’aggravait tous les jours. Le grand-duc, gardant

  1. D’Argenson, Journal, t. IV, p. 22 et suiv. — Barbier, août 1742. — Duc de Luynes, Mémoires, t. IV, p. 214.
  2. Blondel à Amelot, 2 août 1742. (Correspondance d’Allemagne. Ministère des affaires étrangères.) — Valori à Amelot, 11, 14 août 1742. (Correspondance de Prusse. Ministère des affaires étrangères.)