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naquit en Espagne, à Carthagène, le 25 août 1797. Il rentra en France lorsque, les temps furent apaisés, fit ses études dans je ne sais quel séminaire, obéit à la vocation qui l’entraînait, et fut nommé vicaire à Saint-Michel de Castelnaudary, au mois de septembre 1820. Il aimait la ville où il vint dire sa première messe, s’y plaisait, et ne la quitta que pendant quatre ans, de 1829 à 1833, lorsqu’il dut aller à Carcassonne pour y exercer les fonctions de vicaire-général du diocèse. Le fardeau lui parut sans doute un peu lourd, il l’abandonna volontairement et s’en retourna vivre à Castelnaudary, non loin du lieu natal. Il y fut successivement aumônier du couvent de Notre-Dame et supérieur, de la congrégation des filles. C’était un homme intelligent et austère, un de ceux que brûle le feu intérieur et auxquels la vie est trop courte pour accomplir tout le bien qu’ils ont rêvé. Il avait voulu établir aux portes mêmes de la ville, là où est situé aujourd’hui le collège de Saint-François de Sales, un béguinage analogue au petit béguinage qui fut fondé à Gand en 1234 et qui reçoit les jeunes filles trop pauvres pour payer leur dot dans un couvent. Cela est approprié au tempérament belge, un peu froid, facilement soumis, et pénétré par le calme du climat. L’abbé de Soubiran avait compté sans le soleil du Midi qui chauffe les cervelles, accélère l’action du sang dans les veines, pousse aux farandoles et convie aux promenades deux à deux. Au soir, les garçons donnaient des sérénades le long des murs du béguinage, et pendant les récréations les filles oubliaient les pieuses exhortations en dansant à perdre haleine. Le pauvre abbé désespéra de son entreprise, et le béguinage fut fermé.

J’imagine, sans de savoir, que c’est par la confession qu’il arriva à la conception de l’œuvre qu’il a fondée et qui a déjà rendu tant de services aux dédaignées de l’existence et aux élues de la maladie. Je me figure qu’il a reçu la confidence de bien des filles qui, chassées par la pauvreté, avaient quitté « le pays » pour chercher condition dans les grandes villes où l’état de servante, si pénible qu’il soit, assure le pain quotidien, le gîte, et quelques gages. Elles avaient été à Carcassonne, à Toulouse, à Lyon ; les plus vaillantes avaient osé aller jusqu’à Paris. Comment la plupart étaient-elles revenues ? Découragées, harassées de misère, traînant l’aile et tirant le pied, égarées sinon perdues, ayant essayé de tous les métiers et mangé un pain si amer que le dégoût d’elles-mêmes les avait saisies. Son cœur s’émut au récit des souffrances éprouvées, des périls affrontés si souvent sans victoire ; il se demanda s’il ne serait pas possible et s’il n’était pas chrétien de fonder une œuvre pour les filles, les femmes sans place qui, au lieu de vaguer sur le pavé des villes, trouveraient un abri momentané où du moins elles