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engendrés les uns les autres ; la charité ressemble au figuier du Bengale, dont les branches inclinées jusque vers la terre y prennent racine et forment des arbres nouveaux. Il suffit, du reste, de visiter la maison pour comprendre qu’elle s’est agrandie par juxtaposition au fur et à mesure des exigences qu’elle acceptait de satisfaire et qu’elle-même avait appelées.

Elle s’ouvre rue de Maubeuge, no 25, par une grille donnant accès à une « allée » étroite qui aboutit à une porte vitrée, derrière laquelle une sœur tourière est en permanence, j’allais dire en faction. On gravit un escalier de quelques marches, et l’on se trouve dans un préau, plutôt caillouté que sablé, qui est accosté d’un jardin auquel plusieurs arbres de belle venue donnent une apparence assez grandiose. On voit tout de suite que l’on est dans une communauté religieuse initiée aux mystères de l’économie ; la desserte des tables, les débris de la cuisine ne s’en vont jamais à la borne ; tous ces détritus dont fait fi la ménagère parisienne nourrissent et engraissent les canards qui se dandinent au long des plates-bandes, les dindons qui gloussent et semblent toujours en quête de pâture, les poules réunies sous un auvent masqué d’un grillage, les lapins qui vivent l’un contre l’autre dans leur boîte à claire-voie, et les pigeons, auxquels on a construit un abri pareil aux minarets des petites mosquées de la Basse-Egypte ; je parierais volontiers qu’il y a là, dans quelque coin que je n’ai pas découvert, un tect à porcs où les eaux de vaisselle sont attendues avec impatience. Pour un jardin de Paris, le jardin a de l’ampleur ; il est serti de trois côtés par de hautes constructions ; au fond, il monte en pente douce jusqu’à une petite maison, un peu vieillie, qui ressemble à un cottage économiquement bâti par un bourgeois retiré des affaires. Au premier abord, on comprend assez difficilement l’économie générale de la construction ; c’est un quadrilatère qui occupe la profondeur des terrains compris entre la rue de Maubeuge et la rue de La Tour-d’Auvergne, sur lesquelles l’immeuble prend façade. En somme, ce sont plusieurs maisons que l’on a tant bien que mal réunies et raccordées. Dans le jardin, dans le préau, on voit passer les sœurs, affairées comme toutes les religieuses, si bien prises entre les obligations de la règle et les devoirs de la charité qu’elles se hâtent toujours comme si elles n’avaient point le temps de suffire à leur double tâche. Les sœurs novices sont vêtues de blanc ; les mères portent le costume noir ; sur le bonnet blanc et la guimpe blanche, flotte un long voile noir. À la ceinture, elles suspendent le rosaire, qui, à chaque mouvement, bat leur genou et dit : « Pensez à Dieu ! »

Les bâtimens qui touchent à la rue de Maubeuge sont affectés à