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supérieures aux familles dont elles dégrossissent les produits ; toutes n’étaient point impeccables, et chez plus d’une j’ai surpris des bouffées d’orgueil et des lancinemens d’envie ; mais elles sont nombreuses celles qui ont un dévoûment sérieux, une abnégation dont la pratique a dû coûter, un amour sincère et presque maternel pour leurs élèves, et j’ai compris qu’elles étaient dignes d’égards respectueux que l’on ne devrait jamais leur ménager. Le travail de préparation des examens les a épuisées ; elles ont en poche le brevet de capacité supérieure ; elles ont entamé leur petite réserve, — toute leur fortune, — pour avoir une mise décente, sans laquelle chaque porte se fermerait devant elles ; elles battent le pavé, sollicitant des recommandations, déjeunant d’une tasse de café au lait, dînant d’un morceau de pain et de deux sous de marrons ou de charcuterie, s’étonnant que leur diplôme ne dégage pas toutes les issues, gravissant les escaliers, interrogées par des mères ignorantes, lorgnées par les jeunes gens, morguées par la valetaille, ne se décourageant pas, ne pouvant se décourager sous peine de mourir de faim, et se trouvant heureuses, s’estimant sauvées lorsqu’on leur donne trois enfans à élever, 150 francs par mois, le lit et la table. A ces infortunées, — le mot n’est pas excessif, — les sœurs de Marie-Auxiliatrice ouvrent leur maison, donnent une chambre, les protègent autant qu’elles peuvent contre la solitude, mauvaise conseillère, et leur permettent d’attendre sans privations trop dures que leur bonne ou leur mauvaise fortune les envoie en province, en Russie, en Allemagne, et même à Jaffa, où, en 1850, j’en ai rencontré une qui enseignait le piano à un vieux Turc.

La troisième section porte un nom caractéristique : c’est « le chômage, » œuvre antérieure au « secours mutuel des jeunes ouvrières, » et qui, cependant, semble en être devenu l’annexe. Moyennant une cotisation de 0 fr. 05 par jour, les jeunes filles sans travail, — ouvrières ou servantes, — peuvent s’assurer les soins et les médicamens lorsqu’elles sont malades et le paiement d’un mois de loyer pendant les périodes de chômage. Tel est le principe de l’œuvre du secours mutuel ; les sœurs de Marie-Auxiliatrice ont développé ces dispositions premières, car elles accordent au « chômage » une hospitalité de trois mois ; ce qui laisse aux filles sans place le temps de se retourner, comme elles disent, de multiplier leurs démarches et d’arriver à un résultat satisfaisant. Les services que rend l’institution du chômage sont considérables dans l’ordre moral et dans l’ordre physique. Elle est la sauvegarde de bien des jeunes filles qui, livrées à elles-mêmes et aux hasards de la grande ville, s’en iraient à la dérive jusqu’au tourbillon où l’on fait naufrage ; chaque soir,