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le souffle est bien court, lui aussi, il se précipite. Les mains sont allongées sur la couverture, brûlantes et agitées d’une très faible trépidation. J’ai demandé à la pauvre enfant : « Quel âge avez-vous ? » Une toute petite voix m’a répondu : « Au mois de mai j’aurai dix-huit ans. — C’est le mois où fleurissent les roses, je vous en apporterai un gros bouquet. » Elle ébaucha un sourire et dit : « Cela me fera bien plaisir. »

Je me suis éloigné rapidement ; la vue de ceux qui vont mourir rappelle ceux que l’on aimait et qui sont morts. Je me suis trouvé dans un couloir ; une porte était en face de moi, machinalement je l’ai poussée et je suis resté saisi. Dans une pièce très étroite, éclairée par une large fenêtre qui semble s’ouvrir vers l’infini, sur un lit drapé de blanc, j’ai vu une jeune fille couchée. Derrière elle, une veilleuse et deux flambeaux étaient allumés, clarté trinaire qui est presque une profession de foi. Une sœur auxiliaire et une mère de Marie-Auxiliatrice, agenouillées, priaient. Le frêle cadavre est vêtu de blanc, un large ruban bleu contourne les épaules et descend jusqu’aux pieds ; les mains, — comme elles sont blanches ! — sont entourées d’un chapelet et semblent être jointes pour une oraison suprême ; un long voile de mousseline enveloppe le corps tout entier. Les paupières closes, la pâleur rendue plus éclatante par le contraste des cheveux noirs, la lèvre encore souriante, donnent au visage une expression de béatitude dont je suis frappé. Une phrase de saint Paul me revient à la mémoire : « Ne soyez point tristes comme les païens, qui n’ont point d’espérance. » La supérieure, qui m’accompagnait, s’est inclinée et a récité une prière pour le repos de l’âme de la pauvre petite. — Où pourrait-elle aller, cette âme de dix-sept ans, si ce n’est dans l’apaisement de toute souffrance et dans la quiétude sans fin ? — Elle était partie, le matin même, au lever du jour. Est-ce bien la chambre des morts où je l’ai vue ? n’est-ce pas plutôt la chambre de la délivrance ?

En suivant un corridor dont les fenêtres donnent sur la place du village, on parvient à la chapelle qui est une sorte de grenier que l’on a, du mieux que l’on a pu, approprié aux besoins du culte ; la sacristie n’est pas luxueuse, c’est une armoire dont on a retiré les planches. Cet état de choses désespère les religieuses, qui voudraient une belle chapelle pour y entendre la messe quotidienne et y venir prier en commun. Le lieu est insuffisant, mal aménagé, situé sous les combles, je le reconnais ; mais qu’importe ? on y prie aussi bien que dans les cathédrales, et la crèche de Bethléem, où s’agenouillèrent les rois des pays d’Orient, n’était pas aussi grande. Si j’osais, je dirais : « Mes sœurs, ne songez à modifier votre chapelle qu’après avoir construit des logemens pour toutes les malades qui vous