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Broglie, Belle-Isle, se souvenant des instructions timides et hésitantes qu’il avait reçues du ministère des affaires étrangères, se demandait si la hauteur de son langage n’avait pas passé la mesure de la prudence. Mais la contenance plus résolue encore de son collègue ne lui laissa pas longtemps cette crainte. « J’ai reçu l’ordre de tenir jusqu’à l’arrivée de M. de Maillebois, dit le vieux maréchal, et je ne connais que cet ordre-là. Vous feriez ce qui vous conviendrait avec M. de Königseck que je n’y aurais aucun égard. » — « Cet avis si décisif ne me laisse pas à délibérer, » écrivait Belle-Isle également satisfait et de se ranger à un parti vigoureux, et de laisser à autrui la responsabilité des conséquences.

Il n’eut pas lieu d’ailleurs de s’en repentir, car dès le début de la semaine suivante, le 13 septembre, à la tombée de la nuit, on s’étonna de voir cesser tout à coup le bruit de la canonnade, et un grand silence se faire dans le camp autrichien. Puis, vers deux heures du matin, le ciel s’illumina comme des flammes d’un vaste incendie. C’étaient les Autrichiens qui mettaient le feu à leurs ouvrages en les abandonnant. Tout s’expliqua quand le lendemain un envoyé du ministre de France à Dresde, pénétrant dans la ville sans difficulté, annonça que le maréchal de Maillebois était arrivé à Amberg, où il attendait le comte de Saxe pour marcher avec lui sur Prague. C’était donc devant cette menace que les Autrichiens se retiraient, et le siège était levé. De joyeuses acclamations s’élevèrent d’un bout à l’autre du camp français[1].

Cette joie si naturelle était pourtant excessive et prématurée. L’entrée de l’armée de Maillebois et même ses premières marches en Allemagne s’opéraient bien en effet presque sans obstacle, mais cette facilité des commencemens n’était rien moins que le gage d’un succès certain. Au début même, il ne fallait y voir qu’un piège tendu par Marie-Thérèse à l’imprudence et à la légèreté françaises. Le côté faible et même dangereux de l’expédition, signalé à Paris par les vieux maréchaux, n’avait pas échappé à la perspicacité de la reine ; aussi se prêtait-elle sans peine et même avec une certaine complaisance à laisser la France engager ses ressources suprêmes au fond de l’Allemagne, comptant qu’une diversion redoutable qu’elle ne cessait de réclamer, et qui lui était promise, serait portée sur le sol même de la France par l’Angleterre et les Hollandais. « Laissez les faire, lui avait écrit de La Haye l’envoyé britannique, lord Stairs ; s’ils vont à Prague, nous irons à Paris, et Paris vaut bien Prague. »

Cette espérance fut trompée, parce que les Hollandais, plutôt

  1. Récit du siège de Prague. (Correspondances diverses de 1742. Ministère de la guerre.)