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étant ouvert, toute la masse est chassée, par la pression, dans une autre chaudière très vaste, très résistante, où elle se dissout dans l’eau, à une température de 140 degrés, et sous une pression de cinq atmosphères. Au bout de quatre ou cinq heures de ce traitement, le liquide est dirigé, bouillant, vers un filtre ; la pression lui en fait traverser les trous et les feutrages : il est ainsi débarrassé de matières insolubles. Puis on le laisse refroidir, jusqu’à 70 degrés, dans des barques, où il dépose une matière violette qu’on sépare par décantation.

Ce mélange, qu’on appelle le rouge brut, est surtout composé d’arsénite et d’arséniate de rosaniline. Il s’agit d’en tirer la fuchsine en substituant l’acide chlorhydrique aux acides arsénieux ou arsénique. Les uns font bouillir le rouge, brut avec l’acide chlorhydrique ; d’autres, — et leur méthode a prévalu, — commencent par le faire bouillir avec le sel marin. Une double décomposition a lieu ; et, lorsque la liqueur est refroidie, on recueille au fond du vase des cristaux de fuchsine, tandis que l’eau mère conserve des arsénites et des arséniates de soude.

Mais toute la matière colorante ne s’est pas déposée sous forme de cristaux, et un bon industriel ne doit rien perdre. Traitée par le carbonate de soude, l’eau mère donne un précipité, d’où l’on tire un produit colorant, connu sous le nom de grenat d’aniline ou fuchsine jaune. Ce n’est pas tout : le rouge brut a laissé au fond des barques où il se refroidissait une matière violette : on la lave à l’eau bouillante ; l’eau se teint en rouge, et on recueille une substance bleue, propre à la teinture des étoffes. Ce n’est pas tout encore. Le rouge brut a traversé des filtres qui ont retenu des matières insolubles. Ces matières sont soigneusement recueillies : elles forment une pâte qu’on fait bouillir avec l’acide chlorhydrique étendu et qu’on filtre de nouveau pour en tirer des restes de fuchsine. Le résidu, qu’on n’a pu dissoudre, fournit le marron d’aniline, belle teinture qui s’applique très aisément sur la laine. Ainsi, une seule opération a fourni le rouge violacé de la fuchsine, le grenat, le bleu et le marron.

D’où viennent toutes ces couleurs et comment la chimie nous expliquera-t-elle que le même corps fournisse des nuances si variées ? Ces différences ne proviennent pas seulement de ce que la même base, rosaniline, a pu se trouver associée à divers acides. Il ne faut pas oublier qu’au début, malgré les séparations opérées grâce à la distillation fractionnée, nous avons eu affaire à un mélange de corps. Ces corps réagissent les uns sur les autres ; et la théorie de leurs réactions, dont nous avons déjà donné quelque idée, nous semble si ingénieuse et si intéressante, que nous pensons pouvoir, sans trop de pédanterie, en dire quelques mots encore.