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Rémusat était à une dure école, elle s’y instruisait tous les jours. Elle avait commencé par être beaucoup plus autoritaire que libérale. Elle avait applaudi au coup d’état du 18 brumaire, qui semblait préserver à jamais la France des désordres du directoire comme des convulsions de la terreur. Elle avait approuvé, la proclamation de l’empire. Elle s’était déclarée satisfaite « de la liberté réglée » que Napoléon Ier octroyait à ses sujets. Quand cet homme à la main pesante eut lassé sa patience et son admiration, elle lui reprit son cœur, tourna ailleurs ses espérances. Elle vit avec plaisir revenir les Bourbons, la paix revenait avec eux. Elle était d’avis que la France avait surtout besoin d’être bien administrée, que de bons préfets, appliqués et corrects, suffisaient amplement à son bonheur, que l’essentiel dans ce monde est l’ordre et le repos. Mais les expériences qu’elle faisait à Toulouse, les sottises et les déraisons des purs lui avaient ouvert les yeux en lui révélant les origines de la révolution, ses causes et son utilité. Dès le mois de janvier 1817, elle écrivait à son fils : « On supportait encore le despotisme de Bonaparte, outre qu’il était consolidé par ses victoires, parce qu’on sentait qu’il ne produisait qu’un retard passager. On s’était arrêté, mais on ne reculait pas, et le nez de la révolution se laissait deviner sous son manteau impérial… La révolution est forte, et moi aussi je suis d’avis qu’on la comprime dans ses excès, mais pour y parvenir, il faut la légitimer dans ses libertés. Voilà mon mot, comme dit Figaro ; gardez-le pour vous. »

L’influence et les avertissemens de son fils avaient contribué plus que les folies des jacobins blancs à l’affranchir de ses préjugés, à modifier ses jugemens. Au début, elle le raillait, lui cherchait plus d’une querelle. Peu à peu, elle en vint à se dire : C’est lui qui a raison. Elle finit par penser à peu près comme lui. Le frère très cadet avait devancé sa sœur aînée, et c’est une chose étonnante que la précoce maturité de ce jeune libéral de dix-huit ans, pour qui la vie et la politique semblaient n’avoir plus de secrets. Sans négliger son droit et les cours de la Sorbonne, il étudiait l’art d’être un homme du monde et de ne pas devenir un mondain. Très répandu, très goûté, il allait chercher dans les salons du plaisir, des nouvelles, une pâture pour les, infinies curiosités de son esprit ; il n’y cherchait pas ses opinions, il se chargeait de se les faire lui-même. Qu’il eût causé avec M. Mole, M. Pasquier ou le prince de Talleyrand, il réservait son indépendance, révisait les jugemens et les cassait quelquefois. Ce jeune esprit avait. déjà trouvé son équilibre et raisonnait d’aplomb sur toute chose. Mais, comme Zadig, il n’affectait rien et savait respecter la faiblesse des hommes ; il avait découvert que l’orgueil de la raison est le plus insupportable de tous.

Ce qui se passait autour de lui l’attristait souvent. Le spectacle d’un