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c’est que M. le ministre des finances ne s’est parfois défendu qu’à demi en convenant qu’on pouvait avoir raison. De quoi s’agissait-il ?. En apparence, il s’agissait simplement du budget extraordinaire ou budget d’emprunt qu’on n’avait pu discuter et voter avant la fin de l’année, qui revenait maintenant devant le sénat ; en réalité, on a fait ces jours derniers ce qu’on n’avait pas eu le temps de faire il y a quelques semaines, puisqu’on avait été réduit à voter le budget ordinaire lui-même sans le discuter. On a repris le problème tout entier avec ce cortège de questions qui sont justement les élémens de la situation financière : dotation des travaux publics, subventions des écoles et des chemins vicinaux, emprunts en permanence, dette flottante, amortissement, équilibre du budget. C’est sur tout cela que la discussion s’est engagée devant le sénat, répandant sur ces questions assurément très complexes, aussi sérieuses que délicates, les plus instructives lumières.

Après un débat qui n’a rien laissé dans l’ombre, ce qui reste désormais bien clair pour tout le monde, c’est que la situation financière du pays a pris par degrés une sensible gravité. Elle n’est point sans doute irrémédiable, et M. Buffet, qui a si lumineusement exposé l’état de nos finances, s’est patriotiquement défendu lui-même de tout ce qui ressemblerait à un pessimisme découragé ; elle est du moins plus que jamais difficile, embarrassée, et les causes de ces difficultés qu’on sent partout, qui paralysent tout, n’ont en vérité rien de mystérieux. Elles sont connues ; elles sont dans le système qui a été suivi depuis quelques années, dans les prodigalités de parti, dans les dégrèvemens imprévoyans combinés avec les accroissemens démesurés des dépenses, dans l’étourderie avec laquelle on s’est jeté dans toutes les entreprises, dans la multiplicité des travaux engagés partout à la fois, dans l’abus du crédit. Évidemment, c’est un fait désormais admis et établi, il y a eu une heure où l’on a eu l’hallucination du succès, où l’on s’est laissé étourdir par les richesses d’une situation financière que d’autres avaient créée à force de sagesse, de patience et d’économie ; il y a eu un moment où l’on s’est figuré qu’on pouvait tout se permettre dans un prétendu intérêt républicain, qu’il n’y avait plus qu’à prendre de l’argent là où il y en avait, à prodiguer les pensions, à augmenter les traitemens, à couvrir le pays d’écoles ou de chemins de fer électoraux, en ajoutant au besoin au budget ordinaire un budget extraordinaire. Ministères et chambres ont même fini par s’égarer au point de tout confondre, de changer pour leur usage le sens des mots, de ne plus savoir bien exactement ce que c’est que l’équilibre d’un budget ou l’amortissement. On a suppléé à tout par des expédiens toujours renouvelés. La conséquence inévitable, cruellement logique de ce système suivi pendant quelques années, c’est l’embarras universel des finances. Aujourd’hui, ou aurait beau chercher à s’abuser par des artifices budgétaires