Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/719

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les conservateurs avec leur chef M. Canovas del Castillo. A dire vrai, l’imprévu n’est peut-être que dans la manière dont les événemens se sont accomplis. La crise qu’un vote du congrès a précipitée se préparait depuis quelque temps déjà, depuis au moins trois mois ; elle existait depuis la naissance d’un cabinet arrivé aux affaires avec un programme qui ressemblait à une sorte de révolution légale par la révision de la constitution de 1876 et par le rétablissement du suffrage universel. La crise, elle était dans le seul fait d’un ministère né en l’absence des chambres, adoptant un programme passablement hasardeux qui ne lui était imposé par aucun mouvement sensible d’opinion, ayant à conquérir à sa politique une majorité qui ne lui appartenait pas, qui appartenait au dernier ministère de M. Sagasta, — ou à obtenir du roi une dissolution des cortès. Tout semblait réellement assez étrange dans cette situation créée au mois d’octobre, et on peut dire que le cabinet de M. Posada Herrera n’a pas cessé un instant d’être dans les conditions les plus critiques.

Tant que les chambres n’étaient pas réunies, on a pu vivre encore et se faire quelque illusion. Le cabinet de la gauche dynastique, avec des hommes de talent comme M. Moret, le général Lopez Dominguez et avec l’appui que lui prêtait le roi, a pu se flatter de prendre par degrés un certain ascendant, de surmonter les difficultés en ralliant à sa cause une partie de la majorité qui avait suivi jusque-là M. Sagasta. Il a négocié, il a peut-être même espéré un instant former, avec ses propres amis et avec les amis du dernier ministère, ce qu’on appelait déjà un grand parti libéral. Le grand parti libéral n’était qu’un mirage. Le jour où le parlement s’est réuni et s’est trouvé en présence du programme ministériel résumé et précisé dans le discours royal, toutes les impossibilités, toutes les incohérences se sont dévoilées dans une discussion passionnée qui n’a pas duré moins de douze jours, où tous les partis ont levé leur drapeau. Le ministère a eu beau défendre son programme et même montrer un certain esprit de conciliation, il n’a pas tardé à s’apercevoir qu’il n’avait rien gagné, qu’il avait contre lui une majorité vigoureusement ramenée au combat par son ancien chef M. Sagasta, décidée à arrêter au passage la politique de réforme constitutionnelle. En réalité, ces débats, particulièrement engagés entre libéraux sous les yeux des conservateurs, n’ont servi qu’à rendre plus sensibles, à aggraver des antipathies jusqu’ici mal déguisées ou mal contenues. C’était visiblement la lutte de l’ancien ministère de M. Sagasta contre le nouveau ministère de M. Posada Herrera, et dans cette lutte, c’est l’ancien ministère qui a vaincu le nouveau ; c’est un contre-projet d’adresse, proposé par les amis de M. Sagasta, qui, en définitive, a été voté par le congrès malgré les efforts du gouvernement.