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le maréchal Seckendorf, à la tête de la petite armée impériale, avait profité de l’éloignement de Khevenhüller pour reprendre possession de la Bavière et rentrer dans Munich. Mais ce succès même rendait plus impossible de songer à un nouvel effort pour délivrer Prague, car Seckendorf ne pouvait se défendre longtemps seul, pour peu qu’on laissât aux Autrichiens le temps de revenir. Il fallait donc évidemment reporter toutes les troupes françaises sur le Danube, si l’on voulait conserver au moins cet avantage partiel.

Les mauvaises nouvelles se répandent vite : celle-ci pénétra rapidement à Prague, publiée par la joie des cavaliers autrichiens qui tenaient la plaine, avant même d’être apportée par les messagers désolés de Maillebois. Dans quelle consternation elle jeta les malheureux condamnés à une captivité nouvelle, c’est ce qu’il serait plus aisé d’imaginer que de peindre. Le désappointement fut d’autant plus vif que l’approche du dénoûment avait exalté leurs espérances. Toutes les précautions paraissaient heureusement prises par le maréchal de Broglie pour faciliter à Maillebois l’accès de Leimeritz. Un officier supérieur s’y était transporté avec un gros détachement et y demeurait en permanence, tous les vivres étaient prêts, tous les logemens faits pour les arrivans. De Leimeritz à Prague, ce n’était plus qu’une suite de postes français échelonnés de place en place, rendant tout retour offensif des Autrichiens impossible. C’est par cette route sur laquelle tous les regards étaient fixés qu’on s’attendait, à tout instant, à courir au-devant d’amis et de compatriotes. La confiance était telle que Belle-Isle avait déjà écrit à Paris pour demander un congé que le délabrement de sa santé rendait nécessaire, et toutes ses lettres à sa femme respiraient la joie de la revoir et d’embrasser son jeune fils. Tomber de si riantes espérances dans l’abîme de nouvelles angoisses, pour des cœurs déjà si éprouvés, quelle déception ! et quelle amertume plus grande encore de ne pas savoir ce que leurs maîtres découragés allaient décider de leur sort ! Séparés désormais de leur patrie par une barrière reconnue infranchissable, ne leur laisserait-on d’autre choix que les horreurs de la famine, ou l’humiliation de demander merci à un vainqueur impitoyable ?


Duc DE BROGLIE.