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reine, lui sachant gré de cet acte de renoncement, lui en tiendrait compte, et la mettrait à la tête de la maison de sa future belle-fille, l’infante d’Espagne, déjà promise au dauphin, et dont le mariage devait s’accomplir dès que les fiancés auraient l’âge nubile. Tant de crédulité est pourtant peu vraisemblable. L’indécence de donner la maîtresse du père pour guide et pour compagne à l’épouse du fils dépassait encore la mesure, déjà assez large, du scandale à laquelle la cour était habituée. J’aime mieux penser que la favorite, toujours humble et portant à regret les chaînes dorées de son déshonneur, fut séduite par la pensée de réparer, en assurant le bien-être des siens, le tort qu’elle avait fait à la bonne renommée de la famille. Un instant pourtant, un trait de lumière traversa son esprit, et, se rendant brusquement à Paris chez Mme de La Tournelle : « Ma sœur, lui dit-elle en l’abordant, serait-il possible ? .. — Impossible, ma sœur, reprit l’autre, en se redressant, avec un accent d’indignation qu’on put prendre pour celui de la sincérité. » Tout fut dit, et le lendemain la démission et les deux nominations nouvelles, publiées à la cour, étaient enregistrées par le duc de Luynes dans son livre d’étiquette. « Hier soir, dit le prudent duc, il fut déclaré que Mme de Mailly cédait sa place de dame du palais purement et simplement, avec les appointemens, à Mme de Flavicourt. Cela fait un changement dans les semaines, que je marquerai. » Mais la plume semble lui partir dans la main, et il ne peut s’empêcher d’ajouter : « Cette démarche de Mme de Mailly est regardée avec raison comme une grande marque de générosité de sa part. On juge avec raison qu’on peut la regarder comme imprudente, et qu’un peu plus de prévoyance pour l’avenir aurait dû l’empêcher d’exécuter ce projet[1]. »

La preuve que personne ne se trompait sur cet avenir, c’est que la dernière demoiselle de Nesle, jusque-là peu recherchée, trouva tout d’un coup un mari, et du plus haut rang. A la vérité, M. de Lauragnais était un homme déjà mûr, veuf et père de plusieurs enfans. Mais il portait un titre de duc et devait hériter de son père la pairie de Brancas. La duchesse de Brancas, sa mère, était une vieille connaissance de Richelieu, et, pour entrer dans les vues de son ami, comme pour faire honneur au mariage de son fils, ce fut elle qui se prêta à accommoder un dernier détail qui n’était pas sans importance : il fallait trouver un appartement convenable pour Mme de La Tournelle, à qui Mme de Mailly, quelles que fussent ses illusions, ne pouvait pourtant pas céder le sien. Richelieu, qui ne doutait de rien, proposa celui de l’évêque de Rennes, aumônier du

  1. Mémoires du duc de Luynes, t. IV, p. 237. — Mémoires de la duchesse de Brancas, p. 266.