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conseils politiques de Richelieu. « Il faut, lui avait-il dit, qu’il soit plus difficile et plus glorieux pour les gens de cour d’être admis dans votre antichambre qu’il ne l’était de causer en tête-à-tête avec votre sœur. » De là une diplomatie d’un genre inusité qui se prolongea plusieurs jours avec tant de publicité que le ministre Chambrier en rendait gravement compte au roi de Prusse, comme d’une véritable négociation de chancellerie. « La marquise de La Tournelle, écrivait-il, demande que le roi de France lui forme une maison, qu’il vienne publiquement chez elle, qu’il la fasse duchesse, qu’il lui donne de quoi tenir une table, outre douze mille livres par mois pour ses habits, ses domestiques et son jeu, et vingt-cinq mille livres de pension quand elle se retirera. » Toutes ces conditions débattues furent accordées l’une après l’autre, sauf le titre de duchesse, dont le brevet fut retardé jusqu’à ce qu’on eût pu trouver un apanage suffisant pour l’asseoir. Après quoi toutes les difficultés de l’exécution (pour parler le langage vraiment administratif de Mme de La Tournelle) étant résolues, la cour eut connaissance de la conclusion définitive par l’annonce d’un voyage à Choisy dont les trois sœurs de Nesle durent faire partie.

La rumeur et le scandale furent cette fois assez forts pour pénétrer jusque dans l’intérieur de la reine, qui leva, assure-t-on, les yeux au ciel et s’écria en soupirant qu’il ne fallait plus s’étonner des malheurs qui fondaient sur la France. « Elle me fait une mine de chien, écrivait Mme de La Tournelle à Richelieu ; c’est le droit du jeu. » La vertueuse duchesse de Luynes, première dame de la reine, déclina l’honneur d’être du voyage, et le roi, bien que d’un ton un peu sec, dut agréer ses excuses. Mais le duc lui-même, qui avait eu le courage d’approuver et d’appuyer sa femme, ne s’en crut pas moins obligé de faire son service ce jour-là comme les autres, et nous tenons de lui une description faite avec une précision minutieuse de l’appartement occupé à Choisy par Mme de La Tournelle ; c’était celui de Mme de Mailly elle-même, encore tendu d’une draperie de soie bleue et blanche que la pauvre abandonnée avait filée de ses propres mains, à quoi le narrateur officiel ajoute sans même avoir l’air de sourire : « Allant à Choisy dans le carrosse, le roi tira une tabatière de sa poche, et l’y remit sur-le-champ : le lendemain cette tabatière se trouva entre les mains de Mme de La Tournelle qui l’a montrée à M. de Meuse[1]. »

Si Mme de La Tournelle venait de déployer pour établir sa

  1. Chambrier au roi de Prusse, 12 novembre 1742. (Ministère des affaires étrangères. — D’Argenson, t. IV, p. 38. — Mémoires du duc de Luynes, t. II, p. 271, 278, 290. — Lettre de Mme de La Tournelle à Mme de Richelieu, citée par M. de Goncourt dans les Maîtresses de Louis XV, t. I, p. 82, et provenant du cabinet d’autographes de M. Martin. — Chronique de Louis XV (Revue rétrospective), t. IV, p. 62 et suiv.