Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/752

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rapports d’affaires rapprochaient naturellement de Noailles, le trouva tout disposé à y entrer. Il ne fut pas plus difficile d’y engager la plupart des ministres, séduits d’avance par l’idée de ne plus reconnaître de supérieur, et comptant profiter de l’inexpérience du roi pour étendre chacun pour leur compte, dans leur propre département, leur indépendance. Et ainsi se trouva formée, au jour désigné, comme une chaîne qui enlaçait Louis XV à son insu, une coalition d’influences diverses toutes décidées à le faire régner, en dépit qu’il en eût, et à l’émanciper bon gré mal gré.


II

La représentation était prête et tous les rôles distribués, lorsque la mort donna le signal du lever du rideau devant le public impatient. « M. le cardinal de Fleury mourut enfin hier, 29 janvier, à midi, » dit le marquis d’Argenson dans son Journal. — « Enfin, le sort a décidé, dit Barbier. M. le cardinal est mort mardi, 29, à midi un quart. » Et tout de suite le bruit se répandit dans Paris qu’aux ministres Amelot et Maurepas, venant lui apporter la nouvelle, le roi avait répondu : « Eh bien ! messieurs, me voilà premier ministre. » — A quoi la voix publique fit elle-même cette réplique : « Le cardinal est mort : vive le roi ! »

Que cette mise en scène fût vraie ou arrangée après coup pour l’effet à produire, il est certain que la résolution du roi de ne pas donner de successeur à Fleury était réelle et ne tarda pas à être officielle. Louis XV prit lui-même, et lui seul, pendant les jours qui suivirent, la présidence de son conseil, travailla en tête-à-tête avec les secrétaires d’état, et une circulaire qui existe encore aux archives des affaires étrangères transmit à tous les agens diplomatiques l’ordre de correspondre directement avec le souverain, en adressant leurs dépêches à sa personne, comme c’était l’usage sous Louis XIV. Ces premiers essais d’autorité personnelle plaisant à sa vanité novice, il y mit cette bonne grâce qui coûte si peu aux princes et dont on leur sait tant de gré. Le contentement public s’éleva alors jusqu’à l’enthousiasme.

« A chaque heure, dit d’Argenson, la réputation du roi se raccommode dans le public, et bientôt elle éclatera comme celle d’Henri IV, tant l’opinion chemine. » — « On continue, dit Barbier, à être dans l’admiration du roi : il est accueillant, il parle à merveille, il rend justice et travaille avec connaissance de cause. » — Quelques sceptiques cependant hochaient la tête avec un air d’incrédulité. « Ils pensent, écrivait Chambrier, que le projet du roi est au-dessus de ses