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autres en phaéton artistement travaillé, argenté en dehors, et garni de velours et d’étoffes riches en dedans. Les cavalières étaient superbement habillées en amazones et faisaient quatre quadrilles. Sa Majesté la reine était à la tête de la première quadrille à cheval, dont l’habillement était de velours pourpre, l’équipage blanc brodé en or… Sa Majesté la reine et les chevalières descendirent au manège par l’escalier du château ayant fait plusieurs tours à droite et à gauche, les chevalières à cheval, l’épée à la main, et, celles en phaéton, la lance… Tous les spectateurs furent remplis d’admiration pour la dextérité et l’adresse de Sa Majesté, laquelle remporta non-seulement le premier prix de la lance à juste titre, mais n’aurait pas manqué d’en avoir plusieurs autres si elle n’avait déclaré d’avance qu’elle ne voulait pas priver les autres chevalières[1]. »

A Prague, où elle se rendit peu de temps après pour prendre possession de sa royauté reconquise, cette altération d’humeur se fit remarquer chez la princesse par des indices plus sérieux. Cette ville infidèle avait supporté, suivant elle, de trop bonne grâce le joug étranger ; aussi n’y rentrait-elle qu’avec une irritation mal contenue et avec le désir de faire justice de ceux qui, par un serment prêté au conquérant, avaient trahi la foi due à l’autorité légitime. Seulement ces mauvais serviteurs pouvaient se croire garantis par un article de la capitulation accordée à Chevert, portant expressément qu’aucun habitant ne serait inquiété pour sa conduite pendant la domination étrangère. De toutes les concessions arrachées à Lobkowitz par l’amour de sa ville natale, aucune n’avait été plus vivement blâmée à Vienne que cette disposition, pourtant assez sage, et qu’une politique prudente aurait dû conseiller. La reine recourut, pour se soustraire à l’accomplissement de cette promesse, à un artifice peu digne d’elle : elle déclara qu’une amnistie aussi générale dépassait les pouvoirs du négociateur et qu’il avait dû n’y comprendre que ceux qui justifieraient que, dans l’abandon de leurs devoirs, ils avaient obéi à une contrainte matérielle. En conséquence, une commission de justice fut nommée pour examiner les actes des principaux coupables. Le tribunal s’acquitta de sa tâche avec promptitude et sévérité : des membres des plus illustres familles, des personnages du plus haut rang furent condamnés à la peine du bannissement et à la confiscation de leurs biens. Un scrupule un peu tardif empêcha pourtant d’aller plus loin, et un seul fonctionnaire, condamné à la peine capitale, reçut sa grâce au pied même de l’échafaud[2].

  1. Correspondance de Vienne. Record Office. 2 janvier 1743.
  2. D’Arneth, t. II, p. 226, 242.