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Il y a donc là, nous le croyons, une grande illusion et une vertueuse chimère. Dieu nous préserve de la participation obligatoire, qui fait l’objet d’une proposition de loi soumise en ce moment à la chambre des députés ! Il s’agirait, comme on l’a demandé à la commission d’enquête, de ne concéder les travaux de l’état qu’à des entreprises organisées suivant ce régime. Il est vraiment étrange que nos législateurs et nos réformateurs, en ce temps de liberté, s’acharnent à rendre tout obligatoire et qu’ils prétendent nous imposer les idées, bonnes ou fausses, qui leur viennent en tête ! Que la participation reste libre, absolument libre, rien de mieux ; elle peut, dans un cercle limité par la nature des choses, être utile et bienfaisante ; mais il n’est pas admissible que l’on veuille en faire un article de foi, encore moins un article de loi. Aucun intérêt ne conseille de l’introduire, par privilège, dans la pratique administrative. Il en résulterait un surcroît de dépense pour l’état, un embarras pour les entrepreneurs, un profit très incertain et fort minime pour la main-d’œuvre. Les ouvriers ne paraissent point, d’ailleurs, désireux d’être payés en cette monnaie, qui n’a point eu cours jusqu’ici sur le vaste marché du travail. Ils demandent autre chose, et plus.


III

Au début des expériences tentées pour l’organisation des sociétés coopératives, les ouvriers se laissaient volontiers séduire par la pensée que le salaire allait disparaître. On les avait habitués à considérer le capital comme un ennemi, le patron comme un tyran et le salaire comme une marque de servitude. Ils aspiraient à devenir associés, parce que l’association, même à parts inégales, est un signe d’égalité personnelle. La suppression du salariat, voilà quelle devait être, à leurs yeux, la grande réforme. Vainement les économistes s’appliquèrent-ils à démontrer que le salaire est né d’un acte d’association, — que, sauf la quotité qui est à débattre, il représente, sous la forme la plus simple, la part de rémunération qui revient à la main-d’œuvre dans le produit achevé par la collaboration du travail et du capital, — enfin qu’il est à l’abri de tout risque. Vainement les moralistes essayèrent-ils de réhabiliter le salaire. Ces dissertations, quelquefois éloquentes, n’étaient pas de forcé à détruire l’effet de la déclamation politique et révolutionnaire qui recrutait des adhérens dans les ateliers. Aujourd’hui même, malgré les échecs répétés des essais d’association, les préjugés contre le salariat subsistent, et les avocats des ouvriers continuent à flétrir le prétendu servage ; mais, en attendant la révolution promise, les travailleurs se placent sur le terrain même du