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des hommes sans religion, » Ainsi parlait la droite ; mais M. de Montalivet lui-même, dont la parole avait d’autant plus de poids qu’on le savait ami particulier du roi Louis-Philippe, venait apporter à cette opinion l’appui de sa parole. Il disait que, selon lui, le maintien de l’article 8 du décret de 1808, imposant la religion catholique comme base de l’éducation, n’était pas en contradiction avec l’abolition de la religion d’état ; car, en 1808, il n’y avait pas plus de religion d’état qu’en 1830. Il ajoutait que les mots de la charte : religion de la majorité devaient avoir un autre sens que celui de constater un fait, car on ne constate pas un fait dans une constitution. Cet article, selon M. de Montalivet, imposait à l’état « certains devoirs particuliers envers les catholiques. » Par ce biais, la religion d’état pouvait revenir tout entière. Aussi cette théorie amena-t-elle immédiatement les récriminations d’un membre protestant de la chambre des pairs, M. le baron Daunant : M. de Montalivet, reculant devant les conséquences qu’on évoquait contre lui, expliquait alors qu’il avait seulement voulu dire qu’il fallait respecter les scrupules des catholiques.

Qu’un homme d’administration et de pratique comme M. de Montalivet se montrât assez peu touché des intérêts de la philosophie, il n’y avait là, à vrai dire, rien de bien étonnant. Mais ce qui nous prouve combien la situation était alors délicate, glissante, peu assurée, combien la philosophie était en péril et que de prudence il fallait joindre à la fermeté pour la sauver, c’est de voir de quelle manière l’illustre rapporteur de la loi, bien autrement compétent dans la matière que M. de Montalivet, le feu duc de Broglie, philosophe lui-même, de quelle manière, dis-je, il jugeait l’enseignement de la philosophie dans les lycées. Il consentait sans doute à le maintenir dans les programmes de l’université, mais avec tant d’objections que la vraie conséquence de ses paroles eût été de le supprimer. Il faisait remarquer que, nulle part, en Europe, on ne fait une aussi grande part à la philosophie dans l’enseignement secondaire. Quelle est d’ailleurs cette philosophie ? M. le duc de Broglie, bien plus au courant de l’état des choses que les adversaires aveugles de l’université, savait bien que la philosophie enseignée n’était pas celle de M. Cousin, du moins dans le sens des doctrines de 1826 et 1828 ; ce n’était pas l’éclectisme, si ce n’est par le côté de largeur et d’impartialité qu’il avait répandu. C’était, et ce devait être, disait-il, le cartésianisme, car « c’est la seule vraie philosophie. » Mais cette philosophie même, si vraie qu’elle pût être, combien glissante, combien dangereuse pour de jeunes esprits ! Quelle en est, en effet, la méthode ? C’est le doute. Quel en est le principe ? L’indépendance réciproque de la philosophie et