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de la religion. M. le duc de Broglie était trop philosophe lui-même pour ne pas reconnaître que ces deux principes fondamentaux de toute philosophie sont « des vérités ; » mais ces vérités sont de bien grands dangers pour de jeunes esprits, « qu’il ne faut pas troubler et auxquels il faut laisser la sérénité de la première jeunesse. » Ajoutez à cela l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire « le tableau des aberrations humaines ; » n’est-ce pas une école de scepticisme ? Cependant le rapporteur ne concluait pas à la suppression de cet enseignement, comme il semble qu’il eût dû le faire ; mais pourquoi ? C’est qu’en France cet enseignement est une tradition et que la philosophie y a toujours fait partie des écoles secondaires. Ce ne serait d’ailleurs, ajoutait-il, « qu’avec des ménagemens infinis qu’il faudrait procéder à cette réforme afin de ne pas avoir l’air d’agir par des raisons de circonstance. » En attendant, on devrait se borner à « la logique, à la morale, à quelques notions de psychologie élémentaire. » C’était d’avance indiquer à peu près le plan de réformes qui eut lieu plus tard, après le coup d’état.

En lisant ce rapport, qui émanait d’un des esprits les plus éclairés et plus généreux de ce temps, on voit combien les jeunes générations d’aujourd’hui, qui transportent dans le passé leurs propres idées, comprennent mal ce qu’était alors la situation des choses. Même le cartésianisme paraissait encore une doctrine dangereuse à enseigner ; même l’indépendance réciproque de la philosophie et de la religion était une hardiesse qui étonnait et effrayait. Introduire et acclimater le cartésianisme dans l’école eût donc été déjà par soi-même une entreprise des plus libérales ; mais nous verrons que l’enseignement était bien loin de se borner au pur cartésianisme, que l’esprit du XVIIIe et du XIXe siècles entrait pour une grande part dans cet enseignement, que l’introduction de l’histoire de la philosophie ouvrait une large porte, et sans danger, à l’esprit de liberté. Mais nous reviendrons sur ce point quand nous nous demanderons quel était le contenu de cet enseignement. Remarquons seulement que, si restreint que le supposât le duc de Broglie, en le confondant exclusivement avec le cartésianisme, il aurait encore voulu le restreindre en le réduisant à la logique, à la morale et à quelques notions élémentaires de psychologie.

Ce plan, que le duc de Broglie avait indiqué sans le traduire en résolution ferme et en formule législative, un pair de France, M. de Ségur-Lamoignon, se chargea de le transformer en amendement, et la chambre manifesta sa défiance contre l’enseignement philosophique en renvoyant l’amendement à la commission. La commission le rejeta : mais pourquoi ? Pour raison de forme. C’est que c’était un programme, et que le droit de programme