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il eût fait partie du ministère de la régence au 24 février si la régence eût été proclamée. L’année précédente, en 1847, soit volontairement, soit plus ou moins contraint, il avait renoncé à la présidence du concours d’agrégation pour la philosophie. M. Carnot, le ministre républicain, n’eut pas de raison pour le rappeler à cette présidence. Victor Cousin reprit seulement un moment de faveur sous le général Cavaignac. Cependant la réaction faisait des progrès. La présidence de Louis Bonaparte débuta avec l’appui du parti catholique, de M. de Falloux, de M. de Montalembert, en un mot, du parti que Cousin avait combattu si énergiquement à la chambre des pairs. Que va-t-il faire ? Va-t-il, comme son illustre ami, M. Thiers, alarmé pour la sûreté des grands principes sociaux, demander à la religion et au clergé l’appui de leur haute autorité ? C’était le cas, à ce qu’il semble, de faire céder quelque peu les principes abstraits de la laïcité et de la sécularisation de l’état devant des intérêts plus pressans. Voyons quelle fut l’attitude de Cousin en cette circonstance.

M. de Falloux, avant de présenter à la chambre la fameuse loi de 1850, l’avait fait préparer à l’avance dans une commission extraparlementaire, où étaient représentés tous les personnages les plus importans du parti catholique : M. de Montalembert, M. Dupanloup, M. Laurentie, M. de Riancey, M. Cochin, M. de Corcelles, M. Fresneau, M. de Melun. Deux grands laïques, s’il est permis de s’exprimer ainsi, en faisaient partie : M. Thiers et M. Cousin. Ce qui se passa dans cette commission nous a été transmis par un membre dont le nom nous est inconnu, mais qui avait certainement assisté aux débats. C’est le sujet d’un Mémoire, non destiné à la publicité, adressé au pape et aux évêques, mais qui fut cependant publié le 11 septembre 1849 dans le journal l’Ami de la religion[1]. Voici maintenant ce que cette pièce nous apprend sur la participation de Victor Cousin aux travaux de la commission.

« Dès le premier jour et jusqu’à la fin, la lutte de M. Thiers contre M. Cousin fut constante. Nul de ceux qui en furent les témoins ne peut l’avoir oublié. Il y eut là souvent entre ces deux hommes dans la vive familiarité de ces solennelles discussions, des scènes inattendues, involontaires, d’une émotion, d’une force supérieure et qui demeureront un souvenir ineffaçable pour tous. Et, toujours M. Cousin défendait l’université à outrance et reprochait à M. Thiers de ne plus la défendre, de la livrer au clergé, lorsque M. Thiers ne voulait en réalité qu’une chose : sauver la société à l’aide de

  1. Cette pièce a été réimprimée récemment dans le Journal général de l’instruction publique, novembre 1880.