Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/835

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’église. Tout se personnifiait dans ces deux hommes : l’un peut-être étonné de son rôle, mais trouvant dans sa riche nature tout ce qu’il fallait pour s’y élever noblement et le remplissant jusqu’au bout, avec une admirable droiture et une vigueur d’esprit et de bon sens invincibles : c’était M. Thiers ; — l’autre, moins étonné du sien, le soutint aussi jusqu’à la fin avec une constance indomptable, avec une force et une souplesse prodigieuses, avec des ressources inépuisables d’esprit, d’éloquence et d’habileté : c’était M. Cousin.

« Nous rendons à M. Cousin, en présence de toute l’université, encore et pour longtemps peut-être vivante en France, grâce à lui et au vote du 7 novembre[1], nous lui rendons cet hommage qu’il a vaillamment combattu contre nous. Rien n’a pu lasser son courage ; il a fait durer la lutte quatre mois entiers ; il n’a pas déserté un seul jour, un seul moment, sa cause. Il l’a soutenue par tous les moyens : les plus faibles dans ses mains devenaient forts. Il n’y a rien qu’il n’ait défendu, même après l’avoir abandonné ; rien qu’il n’ait essayé de sauver, rien surtout où il ait déployé plus de zèle que pour empêcher l’institution des conseils départementaux et délivrer le recteur de la présence redoutée de l’évêque. Enfin, M. Cousin fut vaincu ; il l’avoua, car il avoue tout ; mais le dernier jour même, il fit un dernier effort pour empêcher sa défaite d’être constatée. Et aujourd’hui, il est vainqueur ; tout lui a réussi. »

On voit par ce témoignage désintéressé, qu’en 1849, même dans cette grande crise sociale qui avait changé les idées de M. Thiers, Victor Cousin était resté inflexible : il continuait à défendre contre le clergé la cause de l’université, c’est-à-dire la cause de l’enseignement laïque et séculier tel qu’il l’avait entendu et défendu en 1844. Car on ne supposera pas que c’est par un esprit étroit de corporation qu’il était animé. Il avait assez dit quel principe l’université représentait à ses yeux : c’était le principe d’une éducation nationale et commune, non séparée par des passions religieuses : et c’était la philosophie à ses yeux qui était le principal agent de cette éducation : c’était donc la philosophie qu’il défendait en défendant l’université. Qu’il défendît cette cause avec exagération, qu’il ne fît pas une part suffisante au principe de liberté, nous pouvons le penser aujourd’hui ; mais, à cette époque, dans le parti libéral, on voyait dans la loi nouvelle non une loi de liberté, mais une loi de réaction ; on n’y voyait pas l’église affranchie d’un monopole excessif, mais l’université soumise à son tour à un joug humiliant. C’était donc l’affranchissement de la raison qui était en péril, on le

  1. Vote de l’assemblée législative qui avait renvoyé la loi au conseil d’état, et dont le parti catholique s’exagérait la portée.