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Nous reconnaissons qu’il y a là une entreprise contre la liberté ; et dans notre programme de 1880, tout en maintenant le même ordre, on a demandé (et c’est nous-même qui avons fait cette proposition), que le professeur fût libre dans la distribution des matières. Maintenant, après avoir reconnu le fait, cherchons à l’expliquer. Pourquoi le programme de 1832 a-t-il été si impératif sur la question de méthode ? C’est que là était la révolution. Toute révolution qui veut détruire un abus est obligée pour un temps de limiter la liberté qui ramènerait cet abus. Par exemple, la révolution française ayant détruit le droit d’aînesse a dû limiter la liberté de tester et imposer l’égalité des partages, parce que la liberté de tester aurait ramené le droit d’aînesse. Eh bien ! que voulait-on dans le programme de philosophie de 1832 ? On voulait en finir avec la scolastique, qui, jusqu’en 1830, avait dominé l’enseignement, qui plaçait la logique formelle en tête de la philosophie, l’ontologie abstraite en tête de la métaphysique, et enfin qui subordonnait à la métaphysique elle-même toute la philosophie. On voulait substituer à la scolastique une philosophie moderne, animée de l’esprit de Descartes et de Bacon, de Locke, de Reid et de Kant, et même de Condillac, une psychologie fondée sur l’analyse, sur l’observation et sur l’expérience. Il fallait donc réagir contre de vieilles habitudes. Tous les cours qui se faisaient alors étaient faits dans l’esprit du programme de 1823 ; tous les manuels suivaient le même ordre. Sans doute les élèves de Laromiguière avaient sauvé quelque peu l’esprit philosophique ; mais ils étaient eux-mêmes asservis aux formules du programme. Pour couper court à la méthode traditionnelle, il fallut imposer d’autorité la méthode nouvelle. Aujourd’hui de tels dangers ne sont plus à craindre ; nous n’avons pas à redouter trop de métaphysique, ni trop de logique ; la méthode expérimentale est suffisamment garantie ; elle n’a plus besoin d’encouragement ni de protection. Libre donc aux jeunes maîtres de faire prédominer s’ils le veulent la logique et la métaphysique ; la liberté n’a plus de dangers.

Si vous exceptez ces prolégomènes, où les prescriptions par trop impératives du programme pourraient être légitimement critiquées, mais qui n’étaient, après tout, que les précautions de l’esprit moderne contre la scolastique, nous ne rencontrons dans aucun autre texte ces doctrines officielles et brevetées que l’on dénonce aujourd’hui. Voyez, par exemple, la question de l’origine des idées. C’était là cependant, à cette époque, le grand champ de bataille entre les condillaciens et les éclectiques, les uns partisans de l’expérience, les autres de la raison pure. Cependant aucune doctrine particulière n’est, je ne dis pas imposée, mais même indiquée dans le programme. Nous n’y voyons que ces mots : « Origine et