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Il est vrai, dira-t-on, que cette mutilation a rendu possible l’extension très notable d’autres branches d’étude. Les langues vivantes, l’histoire et la géographie, les sciences y ont gagné. L’objection a sa valeur, surtout en ce qui concerne l’allemand et l’anglais, et ce n’est assurément pas nous qui y contredirons. Notre génération a trop souffert de la mauvaise distribution des cours de langues modernes et de l’infériorité du personnel enseignant dans cette partie, pour ne pas applaudir énergiquement aux efforts qui ont été faits pour les relever. La grande majorité des collégiens n’emportaient autrefois de leurs cours d’allemand ou d’anglais que des notions très insuffisantes et qui ne tardaient pas à se perdre entièrement. Cela tenait à ce que ces cours commençaient beaucoup trop tard et n’étaient le plus souvent confiés qu’à des professeurs de rencontre. Il y avait un peu de tout dans ce personnel hybride et cosmopolite : même des Polonais sans ouvrage et des Hongrois qui avaient eu des malheurs. L’université recueillait volontiers ces épaves de la révolution internationale et leur ouvrait libéralement ses écoles, sans exiger d’eux aucune garantie de grade ni d’honorabilité. Il suffisait de se dire persécuté et d’avoir plus ou moins trempé dans une ou deux conspirations pour être admis.

En 18.., le professeur d’allemand du lycée, — un fort digne homme d’ailleurs, — avait été condamné deux fois à mort dans son pays ; nous l’admirions beaucoup à cause de cette double auréole, mais nous ne lui permettions pas de faire son cours, et sa classe était un véritable charivari. De temps en temps, quand nous avions été bien sages, il nous racontait ses prisons et nous inspirait le mépris de la police. Nous l’avions surnommé Silvio Pellico, il le savait et il en était fier. Il est mort fou : j’en ai toujours eu des remords. Grâce à Dieu, cette race a disparu : l’agrégation des langues vivantes, instituée en 1864, a fait des professeurs d’allemand et d’anglais les dignes émules de leurs collègues, et cet enseignement, tel que l’ont organisé les nouveaux programmes, donne, de l’avis unanime, les meilleurs résultats.

L’histoire n’appelait pas à beaucoup près et n’a pas reçu du conseil supérieur un développement aussi considérable. Elle s’était déjà, depuis de longues années, taillé dans nos études un large domaine, et ses maîtres n’étaient pas de ceux qui avaient jeté le moins d’éclat sur notre enseignement secondaire. On l’oublie peut-être trop aujourd’hui. Le goût, — pour ne pas dire la mode, — a changé : de nouvelles tendances, importées après la guerre et qui ont pour elles le prestige qui s’attache toujours au succès, sont en train de modifier le caractère de notre enseignement supérieur. Nous sommes bien toujours le même peuple, un peu singe de nature, et ne sachant jamais se tenir à égale distance de l’imitation servile