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donna une fête magnifique à don Juan ; mais le jeune général ne s’attarda pas longtemps dans les plaisirs ; il s’embarqua le jour suivant avec les princes de Parme et d’Urbin, après avoir vu partir Santa-Cruz avec les galères napolitaines pour Naples. Doria se rendit à la Spezia pour embarquer ses troupes italiennes et allemandes. A Naples, don Juan fut reçu par le cardinal Granvelle et il alla recevoir à Santa Clara l’étendard de la ligue, que Pie V lui envoyait.

Le vieux Veniero, à qui le sénat de Venise avait donné le commandement de sa flotte, attendait les alliés à Messine ; Famagosta, la seule ville de l’île de Chypre où flottait encore l’étendard de Saint-Marc, était serrée de près ; les Turcs ravageaient Candie, Zante, Céphalonie, Corfou et l’Albanie. Veniero ne put sauver Famagosta, qui capitula le 1er août après une héroïque défense. Il se désespérait à Messine quand don Juan arriva avec une partie de sa flotte le 23 août. Le 16 septembre, toute l’armada quittait Messine ; elle formait trois divisions : l’aile droite était commandée par Doria ; le centre, composé de soixante-quatre galères, portait le pavillon bleu de don Juan ; les Vénitiens formaient la gauche ; une réserve de trente vaisseaux était sous les ordres du marquis de Santa-Cruz. Le 26 septembre, on tint un conseil de guerre à Corfou. « Les grandes puissances chrétiennes, dit Stirling, avaient réuni le plus formidable armement qui eût encore été déployé contre l’ennemi commun. Il était clair qu’un mouvement faux, dégénérant en un désastre, eût mis l’Europe aux pieds du terrible conquérant asiatique. Il était clair aussi qu’une politique timide et lente, en évitant une défaite, aurait un effet non moins fatal, qu’elle dissoudrait le grand armement de la ligue en élémens discordans et qu’elle le diviserait en plusieurs flottes, dont aucune ne serait en état de résister à la flotte de Sélim. » Les.conseils timides, comme il arrive toujours, ne manquèrent pas. Don Juan imposa sa volonté ; son audace, dans cette circonstance, fut le fait de sa réflexion autant que de son tempérament. Il avait pour ainsi dire la foudre en mains, il voulut la lancer. Il fut résolu qu’on irait tout de suite chercher l’ennemi.

On le trouva à Lépante ; cette grande journée a été racontée dans les moindres détails, montrons-y seulement don Juan. Les deux flottes marchent l’une contre l’autre ; le commandant turc, comme don Juan, est au centre de sa ligne. Le premier, il fait tirer un coup de canon ; don Juan répond à ce salut par un coup de canon. Bientôt les vaisseaux sont si près les uns des autres qu’on distingue les bannières, les pavillons. Les Turcs poussent de grands cris, le chrétiens observent un grand silence. « Don Juan d’Autriche, couvert d’une armure complète, et placé au point le plus élevé de son navire, s’agenouille pour embrasser la croix et pour implorer l’appui céleste pour la grande entreprise qu’il va commencer