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lendemain au soir, elle jetait l’ancre devant La Goulette, la forteresse qui commande les approches de Tunis. Don Juan débarqua le lendemain matin et apprit que la garnison turque évacuait la ville. Les troupes turques, au nombre de six mille hommes, se retirèrent à Kairouan et dans les villes de l’intérieur, et l’occupation de Tunis eut lieu sans coup férir. Les habitans avaient presque tous pris la fuite et, pendant une semaine la ville, fut livrée au pillage. Don Juan s’occupa aussitôt d’élever une citadelle pour dominer la ville : elle fut construite par Serbellone, célèbre ingénieur de l’époque, qui fut nommé gouverneur et capitaine général de Tunis.

Après sa facile conquête, don Juan repartit avec la flotte pour la Sicile ; il trouva à Favignana une dépêche du roi qui l’autorisait à venir en Espagne. Il reste pendant quelque temps encore à Naples, s’oubliant auprès d’une fille de Sorrente, Diana di Falanga, dont il eut une fille naturelle. Il rêvait toujours de devenir roi, et de Naples il envoya son secrétaire Escovedo au pape Grégoire XIII pour lui demander d’obtenir pour lui du roi d’Espagne la couronne de Tunisie. A quelque temps de là, le pape écrivit à Philippe II, et, après l’avoir invité à augmenter plutôt qu’à diminuer la flotte, il ajouta : « Il serait peut-être bon de considérer si l’on n’ajouterait pas au pouvoir et à l’autorité de don Juan en lui donnant le titre de roi de Tunis : le roi d’Espagne montrerait ainsi sa gratitude à Dieu pour sa nouvelle conquête, en fondant, à la manière de ses ancêtres, un nouveau royaume chrétien. » Le pape parlait aussi des troubles des Flandres et suggérait la pensée d’y envoyer don Juan et de l’employer « à l’entreprise d’Angleterre, les catholiques d’Angleterre désirant vivement qu’il devînt leur roi par son mariage avec la reine d’Ecosse. » Le roi d’Espagne répondit froidement à ces ouvertures et il assura simplement le saint-père que les services de don Juan seraient toujours récompensés.

Au printemps de 1574, don Juan se résolut d’aller en Espagne, pour demander le titre et le rang d’infant de Castille et pour obtenir de l’argent pour sa flotte. Il trouva à Gaëte des dépêches du roi qui changeaient ses projets. Des troubles avaient éclaté à Gênes : don Juan reçut l’ordre de se rendre à Vigevano, ville située entre la Lombardie et le territoire de Gênes, pour y surveiller la lutte entre les factions des anciens et des nouveaux nobles, que Philippe II croyait fomentée par les agens français. Cette mission commença le mois d’avril 1574. Le prince en profita pour visiter Milan, Parme, Plaisance ; il n’oubliait pas toutefois Tunis et envoyait un de ses secrétaires eh Espagne avec un long rapport sur la Tunisie ; il suppliait le roi de n’en pas retirer ses troupes et lui présentait un plan d’organisation de sa conquête africaine. Au milieu des plaisirs, des danses, des tournois, il avait toujours les yeux