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on ne peut pas dire que le terrible chancelier manque d’unité dans ses vues. Par une coïncidence singulière, au moment où s’éteignait M. Rouher, le ministre d’état optimiste de 1866 et de 1867, un des confidens de M. de Bismarck, M. Busch, publiait des révélations nouvelles sur le passé, un livre nouveau qui prouve la tenace et prévoyante fixité avec laquelle a procédé le créateur de l’unité allemande. FI venait à peine de vaincre l’Autriche, il n’avait pas même encore signé la paix avec elle, il se préoccupait déjà d’enlacer le cabinet de Vienne, de regagner son alliance dans la prévision d’une guerre contre la France. Il allait plus loin, il songeait dès lors à réaliser ce qui s’est appelé plus tard l’alliance des trois empereurs. Il n’a pas réussi du premier coup et il avait à traverser bien des crises avant d’atteindre son but ; il a fini cependant par y arriver. Ce qu’il n’avait pu obtenir avant la guerre contre la France, il l’a obtenu après ses victoires. Il a eu pour un moment cette alliance des trois empereurs qui, à la vérité, n’a pas duré longtemps, qui a même menacé de mal unir et qui reste singulièrement problématique. Il a eu surtout ce qui avait été sa première pensée dès le lendemain de Sadowa, l’alliance particulière de l’Allemagne et de l’Autriche. Il a eu aussi bien d’autres alliances, toutes celles qu’il a voulu accepter, qui sont allées à lui, puisqu’il était heureux. Mais il est clair que, dans toutes ses combinaisons, c’est l’alliance autrichienne qui, après avoir été son premier rêve de victorieux, demeure pour lui le point fixe et invariable, le pivot de sa stratégie, tantôt contre la France, tantôt contre la Russie, — depuis que la Russie a semblé montrer quelque mauvaise humeur. — C’est pour mieux garantir la paix, assure-t-on toujours. Autrefois M. de Bismarck a pu songer à la guerre ; maintenant il ne songe qu’à la paix. Il ne tient qu’à la Russie elle-même de s’en assurer, de dissiper tous les nuages, de rentrer dans l’alliance de l’Europe centrale, si elle le veut, et M. de Giers, à son récent passage à Vienne comme dans sa visite à M. de Bismarck, a pu recueillir les déclarations les plus conciliantes.

Soit ! la paix est à peu près assurée pour cette année ; il faut bien le croire, puisque tout le monde le dit, puisqu’il est entendu que les ministres ne voyagent, que les diplomates ne se déplacent ou ne livrent leurs confidences au public européen que pour le bien de la tranquillité universelle. Il est certain que si la France, qui est étrangère à toutes les combinaisons du moment, n’est ni intéressée, ni disposée à troubler l’Europe par des projets guerriers, les autres puissances, quoique par des raisons différentes, ont autant qu’elle besoin de la paix. M. de Bismarck lui-même a besoin de la paix, ne fût-ce que pour en finir avec ces conflits religieux qu’on croyait apaisés par la visite du prince impérial au Vatican et qui semblent revivre plus que Jamais ou se traîner sans pouvoir arriver à un dénoûment. La Russie, de son côté, n’est point au bout de ses crises intérieures, et,