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dernièrement encore, de nouveaux attentats ont tristement prouvé que les passions de meurtre étaient loin de s’avouer vaincues. L’Italie, quant à elle, se défend fort sagement de vouloir jouer le rôle actif et militant que les polémistes provocateurs de l’Allemagne lui prêtent, et elle préfère décidément s’occuper de ses intérêts.

L’Autriche enfin, la plus pacifique des puissances, l’Autriche a des difficultés de toutes parts, en Hongrie, dans la Croatie, dans ces perpétuels conflits de nationalités, qui, ces jours derniers encore, occupaient et passionnaient le parlement de Vienne à propos d’une motion de M. Wurmbrand, réclamant l’emploi de la langue allemande dans les affaires officielles. La question ne laissait pas certainement d’être délicate pour le ministère du comte Taaffe, qui n’a gardé jusqu’ici une majorité qu’en usant de ménagemens infinis. Elle n’a point été, en définitive, résolue, elle a été écartée ; elle reparaîtra, parce qu’elle est inhérente à la situation même de l’Autriche, parce qu’il y a dans l’empire des Allemands qui veulent garder ou ressaisir la suprématie, et d’autres races profondément, ardemment attachées à leurs traditions, à leurs droits, à leur langue, à tout ce qui représente leur nationalité. La motion Wurmbrand n’a abouti qu’à une trêve nouvelle ; mais ce n’est pas là peut-être, pour le moment, l’embarras le plus sérieux à Vienne. Ce qu’il y a de plus grave, c’est que l’Autriche, à son tour, semble envahie par le socialisme révolutionnaire, par le nihilisme meurtrier. Dans ces derniers temps, les attentats se sont succédé surtout contre les gens de police. Des assassinats ont été commis, les prédications démagogiques se sont multipliées et envenimées, si bien que le gouvernement s’est cru obligé de recourir aux grands moyens : il a décrété ce qu’on appelle en Allemagne le petit état de siège. C’est, en d’autres termes, la suppression de toutes les garanties, de la liberté de la presse, du jugement par jury provisoirement remplacé par la juridiction militaire. On a déjà procédé par voie discrétionnaire à un assez grand nombre d’arrestations et d’expulsions. Des mesures sont proposées au parlement pour augmenter la police de sûreté. Le gouvernement n’a-t-il pas pris un peu vite l’alarme ? Jusqu’ici, les partis révolutionnaires ou socialistes avaient paru moins fortement organisés en Autriche qu’ils ne le sont en Allemagne et en Russie. L’attitude que prend le ministère de Vienne ferait croire qu’il se sent en face d’un danger contre lequel il entend s’armer de tous les moyens de répression ou de prévention. Et voyez comme tout se tient dans la politique ! Assurément, le système de répression qui prévaut à Vienne n’est point fait pour déplaire à M. de Bismarck, pour ébranler l’alliance des deux empires ; il ne peut, au contraire, que resserrer cette alliance en laissant apparaître de plus en plus l’esprit de réaction qui préside à toutes ces combinaisons nouées depuis quelque temps par la diplomatie au centre de l’Europe. Ce n’est point