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M. le comte de Jay de Beaufort, dont les organes de la vision sont irréprochables, a inventé un système extrêmement simple, comme tout ce qui doit être approprié à l’infirmité, et dont la pratique m’a semblé facile. Laissant de côté l’écriture nocturne de Braille et l’écriture voyante de Foucaut, rejetant la romaine dont les lettres rectangulaires sont lentes à former, négligeant l’écriture anglaise dont certaines lettres, les m, les n, les u, ont trop de similitude et peuvent être confondues, surtout ; au toucher, il a adopté une sorte de bâtarde lourde qui ressemble à la ronde. Il enseigne à écrire à l’envers comme font les lithographes et les graveurs ; avec un peu de temps, d’attention et d’adresse, on est passé maître en ce genre d’écriture. Une feuille de papier à la fois résistante et molle est placée sur un cadre contenant une tablette creusée horizontalement de sillons larges et plats déterminant la rectitude de la ligne et la hauteur des lettres. Cette tablette est recouverte d’un drap léger qui permet au papier de s’infléchir sous l’action d’un poinçon obtus, sans cependant être crevé. Ces indications suffisent à expliquer le mode de procédera l’aide du poinçon, du stylet, — d’où le nom de stylographie appliqué à cette méthode, — on trace des lettres à l’envers ; on détache la page, on la retourne ; les lettres apparaissent en saillie, reconnaissables aux yeux des voyans, reconnaissables au toucher des aveugles. Désormais la communication est établie entre les uns et les autres. Les aveugles apprécient singulièrement ce système, qui est supérieur à tous ceux que l’on a imaginés pour eux, car seul il leur met en main un moyen de correspondance assuré avec les voyans. M. le comte de Jay de Beaufort donne bénévolement des leçons à l’Institut des jeunes aveugles et forme, parmi les Sœurs de Saint-Paul, des professeurs qui, à leur tour, transmettent la science nouvelle à leurs petites élèves. J’ai vu les religieuses écrire et lire rapidement de la. sorte ; les jeunes filles sont moins habiles ; elles ânonnent ou plutôt elles tâtonnent et ne parviennent pas toujours, au premier tact, à déchiffrer une phrase. Elles sont exactement comme un enfant qui commence à épeler ses lettres et ne sait pas encore en former un mot. Tout apprentissage est long et l’infirmité n’est point pour l’abréger. La stylographie rendra d’inappréciables services aux aveugles et brisera en partie la barrière qui les sépare du reste de l’humanité.

Toutes les élèves que j’ai vues dans les classes ne sont point encore assez développées pour être mises à l’étude du système Beaufort ; les plus grandes, seules, commencent à s’en servir. L’enseignement qui est distribué là ressemble à celui de toutes les écoles primaires : la lecture, l’écriture, le calcul, l’histoire, la géographie ; on néglige la couture, qui est trop difficile ; la