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victorieuse sans son concours, dictant la paix sans son intermédiaire, se trouverait par là libre de se livrer sans contrainte à tous ses rêves de ressentiment et de revanche, lui parut singulièrement déplaisante. Comme il avait joué tout le monde, il ne se dissimulait pas qu’il était exposé à voir aussi à un jour donné tout le monde ligué contre lui. La Silésie était limitrophe de la Bohême, et beaucoup de ses nouveaux sujets gardaient un vieil attachement pour l’héritière de leurs anciens souverains. Si, après une paix conclue avec la France, une armée autrichienne, faisant appel à cette sympathie persistante des populations, franchissait par surprise la limite qui séparait les deux provinces, — exactement comme il avait fait lui-même deux ans auparavant, — ce n’était ni la France, épuisée et trahie, ni l’Angleterre, railleuse et mécontente, qui lui viendraient en aide. Son inquiétude s’accrut encore lorsque, parmi les conditions de paix possible exigées par Marie-Thérèse, il entendit mentionner l’appel du grand-duc à la succession impériale. De tous les résultats de la dernière guerre, le plus avantageux peut-être à ses yeux, celui auquel il attachait presque autant de prix qu’à l’extension de ses frontières, c’était l’avènement à l’empire d’un prince sans force et sans valeur personnelles, qu’il se flattait de tenir toujours à sa discrétion. « L’empire confié à Charles VII, avait-il dit dans un document curieux que j’ai déjà cité, s’attachera à la Prusse ; j’aurai l’autorité de l’empire, et l’électeur de Bavière l’embarras. » Un prince protestant ne pouvait désirer mieux dans les idées du temps que de tenir ainsi l’empereur en laisse et en tutelle. Mais ce calcul menaçait d’être complètement bouleversé par le retour au pouvoir du souverain de l’antique maison à laquelle l’Allemagne avait obéi si longtemps et dont le joug n’aurait acquis que plus de force par la tentative impuissante qu’on aurait faite pour le secouer. Dans cet état d’esprit, déjà alarmé, l’apparition d’une armée anglaise sur les frontières de l’Allemagne, qui exaltait les espérances de Marie-Thérèse, devait causer à son vainqueur, devenu son allié, mais toujours au fond son rival, une véritable perplexité.

Quelle que fût l’inquiétude du monarque prussien, l’arrogance ne lui ayant jusque-là que trop bien réussi, il crut pouvoir encore sortir de peine en prenant avec tout le monde, même avec le roi d’Angleterre son oncle, le ton haut et menaçant. Il manda chez lui l’ambassadeur britannique, le froid et tranquille Écossais Hyndford, que le lecteur connaît : « Mylord, lui dit-il, je vous ai fait venir pour vous parler de la situation présente de l’empereur et de l’empire, dont je suis moi-même un des membres principaux. La nouvelle de l’arrivée de troupes si nombreuses, dont la plus grande partie est étrangère, me rend nécessaire de connaître les intentions