Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Allemagne, et l’Allemagne le doit à Schelling ; ce système est le vrai. » Ces mots ont été souvent cités, mais on n’en a pas assez remarqué la date. C’est trois ans après la révolution que Cousin, devenu pair de France, conseiller de l’université, n’hésitait pas à proclamer la philosophie de Schelling comme la vraie et la dernière philosophie. Voici un second fait : en 1836, Jouffroy, dans la préface des Œuvres de Reid, où il poussait la philosophie écossaise dans une voie critique et demi-sceptique analogue à celle d’Hamilton, décrivait la philosophie française de son temps comme divisée en deux branches : la branche écossaise et la branche allemande. Il était évidemment le chef de l’une et il se regardait comme tel ; par l’autre il entendait l’école particulière de Cousin ; il le désignait lui-même, à côté de Schelling et de Hegel, parmi ceux qu’il appelait des « chercheurs d’absolu, » entreprise qu’il déclarait, quant à lui, aussi chimérique qu’ont pu le faire plus tard les fauteurs du positivisme. Ainsi, en 1836, Jouffroy, si près de la source, n’avait encore aucune connaissance d’un changement de direction philosophique dans l’esprit de Victor Cousin. Arrivons à 1840. C’est cette année que commence avec éclat la croisade catholique contre la philosophie de Cousin. En laissant de côté les pamphlets de bas étage qui sont indignes d’une mention historique, on peut signaler surtout deux ouvrages de sérieuse valeur, écrits avec une véritable déférence pour la personne et pleins d’admiration pour le talent de M. Cousin ; ce sont : l’Essai sur le panthéisme, de l’abbé Maret, et les Considérations sur les doctrines religieuses de Victor Cousin, de l’abbé Gioberti, traduit en français par l’abbé Tourneur. Or ces deux ouvrages sont l’un et l’autre dirigés contre le panthéisme et le rationalisme de Victor Cousin et ne soupçonnent pas le moindre changement dans sa pensée. Ainsi, jusqu’en 1840 au moins, Cousin n’a pas éprouvé le besoin de rien changer à ses opinions philosophiques. C’est seulement à partir de cette époque, et sans aucun doute sous le coup de la polémique catholique, que le changement commença à se faire sentir. Reprenons les choses d’un peu plus haut pour nous rendre bien compte de cet événement.

L’occasion déterminante de la transformation philosophique de Victor Cousin a été l’accusation de panthéisme dirigée contre lui par la polémique catholique et contre laquelle il chercha à se défendre dans la préface de 1833 (deuxième édition des Fragmens), dans la préface de 1838 (troisième édition) et, dans la préface du Rapport sur Pascal, en 1842. Ce qu’il y a d’intéressant à signaler dans cette controverse, c’est que, plus ou moins provoquée, je le reconnais, par les difficultés de la politique universitaire, elle avait cependant dans le fond des choses le mérite et l’avantage, au point