Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cousin n’avait jamais été ni athée ni mystique, et il ne voulait être ni l’un ni l’autre. Mais, du moment qu’on n’absorbe ni Dieu dans l’homme, ni l’homme en Dieu, quels que soient d’ailleurs les rapports indéterminés que l’on laisse entre l’un et l’autre, le panthéisme se rapproche du théisme et même sera porté à en prendre de plus en plus la forme et les formules. Que plus tard, sous l’influence de faits nouveaux et de circonstances différentes, la philosophie ait pu être appelée à prendre des formes nouvelles que nous n’avons pas à juger ici, cela est possible, et nous ne voulons soulever aucune polémique contemporaine. Mais qu’alors, dans la dissolution universelle qui partout tournait au profit de l’athéisme, il y eût lieu à un retour à la philosophie de Descartes, renouvelée à l’aide de Leibniz et de Biran, c’est ce qui me paraît encore aujourd’hui parfaitement fondé. Cette nouvelle forme de l’éclectisme eut surtout pour interprètes les élèves de Cousin : Saisset, Jules Simon, Franck, Bouillier, Bersot ; et Cousin lui-même, de plus en plus loin des choses, fut souvent, si j’ose dire, l’élève de ses élèves. Mais sans distinguer la part de chacun, nous affirmons que ce mouvement était légitime, répondait à la situation, n’engageait nullement l’avenir ; c’était une philosophie de recueillement et d’observation et non une rétractation humiliante du passé.

Néanmoins, tout en considérant comme légitime et fondée en soi l’espèce de rupture ; de Cousin avec lui-même et tout en rappelant quelque chose d’analogue chez les plus grands penseurs de notre siècle : chez Fichte, accusé d’athéisme en 1796 et finissant par le mysticisme ; chez Schelling passant, nous l’avons dit, du panthéisme au néo-christianisme ; chez Biran, du stoïcisme au quiétisme ; chez Cabanis, passant du matérialisme de son premier ouvrage au théisme de la Lettre à Fauriel ; — malgré, dis-je, tous ces exemples, nous sommes obligé cependant de reconnaître que la forme donnée par Cousin à sa dernière philosophie a été plus préjudiciable qu’utile et a été une raison de faiblesse et de recul pour la cause même qu’il voulait servir.

Lorsque Victor Cousin commença la réforme de sa philosophie, il était éloigné de la science pure depuis une dizaine d’années par deux circonstances différentes : d’abord, son rôle d’administrateur, de directeur de l’enseignement philosophique, rôle plus ou moins lié à la politique ; en second lieu, son goût de plus en plus vif pour la littérature et pour la langue littéraire. Or la métaphysique a beau avoir des rapports très étroits avec la vie, avec les besoins légitimes de l’âme, et trouver son appui dans les instincts naturels de l’homme, elle n’en est pas moins en elle-même une science et une science des plus difficiles, que non-seulement il faut apprendre, mais qu’il faut cultiver sous peine de ne plus être au courant des