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Jackson se montra fort irrité de l’opposition que rencontraient ses premiers actes et y répondit par des menaces : « Le peuple, dit-il, remettra toutes choses, dans l’ordre et leur apprendra ce que c’est que de s’opposer à mes nominations. »


II

La partie du message dans laquelle Jackson se prononçait contre la rééligibilité du président et semblait prendre ainsi l’engagement implicite de ne pas solliciter le renouvellement de son mandat, avait fait naître dans son entourage politique des impressions de nature opposée. Le vice-président Calhoun et le secrétaire d’état Van Buren aspiraient l’un et l’autre à lui succéder à la Maison-Blanche. Mais Calhoun, élu pour la seconde fois à la vice-présidence, qu’il avait occupée déjà sous l’administration d’Adams, ne pouvait prétendre à une troisième élection qu’interdisaient tous les précédens : aussi la réélection de Jackson ne devait-elle pas avoir seulement pour effet d’éloigner du brillant orateur du Sud le but de son ardente ambition ; elle devait le condamner à rentrer pour quatre ans dans la vie privée et lui faire perdre au jour de la lutte les chances que lui aurait assurées la possession de la seconde magistrature de la république. Si l’intérêt de Calhoun lui faisait redouter la prolongation des pouvoirs du président, l’intérêt de Martin Van Buren était tout différent. En dehors de la grande popularité dont il jouissait dans l’état de New-York, il ne se sentait ni une notoriété, ni une autorité suffisante dans les autres états de l’Union pour engager sans péril une lutte dans laquelle il trouverait réunies contre lui l’influence de Clay, dans l’Ouest ; celle de Webster, dans le Nord, et celle de Calhoun, dans le Sud. Pour tenir tête à de tels adversaires, ce n’était pas trop du prestige de Jackson : il importait donc de le décider à provoquer sa réélection, de l’amener, pour écarter toute compétition, à une prompte et éclatante rupture avec Calhoun, et d’obtenir qu’au terme de sa seconde présidence, il présentât lui-même Van Buren au pays comme le représentant de sa politique et le continuateur de son œuvre. L’habile politicien de New York dressa en conséquence son plan de campagne, en arrêta tous les détails avec la précision méthodique et la lucidité habituelle de son esprit et ne négligea rien pour l’exécuter de point en point.

Il ne fut pas besoin de grands efforts pour vaincre les scrupules réels ou affectés du président. Moins de trois mois après le message, Lewis se chargea d’obtenir de la législation de la Pensylvanie un vœu en faveur de la réélection : une adresse fut envoyée au « vieux héros » pour l’adjurer de céder à la volonté populaire et de ne pas déserter le service du pays. Des manifestations analogues se