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l’irritation de ses compatriotes, et, dans un discours prononcé à un banquet, qui lui avait été offert dans l’état de Géorgie, il protesta énergiquement contre la pensée d’une « action concertée des états pour la défense d’intérêts sectionnels, » proclamant qu’un tel concert était « contraire à l’esprit de la constitution. »

Ce sera cependant un concert de ce genre que nous verrons s’établir entre les états du Sud à la suite du vote du tarif de 1828, et ce sera Calhoun lui-même qui en sera le principal instigateur.

On ne peut d’ailleurs méconnaître l’opposition d’intérêts qui se manifestait, à propos de cette question du tarif, entre les deux grandes fractions de l’Union. Le Nord était alors dans tout l’éclat d’un développement rapide et inespéré ; son industrie était florissante ; sa population s’accroissait avec sa richesse ; et chaque jour voyait s’élever des villes nouvelles dans les territoires récemment conquis sur le désert et la barbarie. Les états du Sud présentaient un spectacle bien différent : ils ne possédaient pas de manufactures : ils ne recevaient pas d’émigrans, le chiffre de leur population restait stationnaire ; l’agriculture, qui constituait leur seule richesse, était en souffrance et ils ne vendaient qu’à des prix peu rémunérateurs le coton, le blé et le tabac que produisait leur sol. Leurs publicistes et leurs hommes d’état attribuaient exclusivement au régime protecteur ce déplorable état de choses. « Nous vendons bon marché et nous achetons cher, » disait pour expliquer la détresse du Sud le Virginien Tyler.

Cette situation tenait à des causes plus profondes. Par suite de l’immense développement donné à la culture du coton, l’esclavage était devenu, comme il le fut si longtemps, dans l’ordre économique et dans l’ordre politique, la pierre angulaire de la société sudiste. La création de manufactures n’était sollicitée dans cette région ni par les besoins de ces troupeaux d’esclaves dont la consommation se réduisait aux objets les plus grossiers, ni par ceux de cette classe inférieure de la race blanche, à la fois victime et complice de l’esclavage et qui n’avait ni conscience de sa dégradation matérielle et morale ni aspiration vers une condition meilleure. L’industrie ne pouvait d’ailleurs se développer dans un état social où le travail manuel était considéré comme déshonorant pour un homme libre et où l’aristocratie des planteurs redoutait comme une menace pour son omnipotence la constitution d’une classe moyenne. L’esclavage condamnait donc le Sud à rester exclusivement agricole et en même temps il maintenait son agriculture elle-même dans des conditions irrémédiables d’infériorité : car il est de l’essence du travail de l’esclave auquel fait défaut le stimulant de l’intérêt personnel, d’épuiser la terre au lieu de l’améliorer. Aussi la population libre restait clairsemée sur la vaste étendue de ce sol appauvri, et le