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réservé à l’Asie centrale par ces facilités, surtout si la ligne ferrée est prolongée jusqu’à Merv.

Au point de vue extérieur, le préjugé ancien veut que Merv donne à son possesseur la clé des Indes. La construction du chemin de fer transcaspien et les connaissances nouvelles qu’on a sur ces régions, depuis la dernière campagne des Russes, ont changé les données de la question. Les routes qui mènent directement de Merv à Caboul, par Balkh ou tout autre point des montagnes afghanes, sont impraticables à une armée ; depuis le voyage du major Grodekof, ces itinéraires sont condamnés. Dans l’opinion unanime des Anglais et des Russes, il n’y a qu’une route militaire possible entre le bassin aralo-caspien et les Indes : celle qui passe par Saraks, Hérat et Kandahar, la route qu’ont suivie Alexandre le Grand, Nadir-Chah et toutes les invasions. Nous avons nommé Saraks ; il faut insister sur l’importance de ce point, car là est véritablement la clé des Indes. La muraille continue, courant de l’est à l’ouest, qui sépare l’Iran du Touran, sous le nom de Paropamisus en Afghanistan, de Kara-Dagh, de Kopet-Dagh en Perse, est brisée par une étroite cassure au point d’intersection des trois frontières persane, afghane et tourkmène. Le fleuve Tedjen ou Herri-Roud, descendu d’Hérat par la vallée qui sépare la Perse et l’Afghanistan, franchit cette cassure, s’infléchit au nord-ouest dans la direction d’Askabad et va se perdre dans les sables de Kara-Koum. C’est dans ce défilé, porte naturelle des deux états iraniens, que s’élève Sarak ? , jadis une cité considérable, aujourd’hui un méchant fortin. Nominalement, Saraks appartient à la Perse, qui y entretient quelques soldats ; de fait, tout le pays environnant était jusqu’ici abandonné aux Tourk-mônes, dont les Russes se trouvent à présent suzerains. De Saraks à Askabad, point extrême de l’oasis d’Akkal-Tekké, qui sera prochainement sans doute le point terminus du chemin de fer transcaspien, on compte environ 250 milles anglais, en marchant au nord-ouest, par le cours du Tedjen d’abord, puis par les petites oasis disséminées sur le revers des montagnes persanes. De Saraks à Merv, il n’y a que 150 milles, dans la direction du nord-ouest, mais par un désert sans eau. Le troisième côté du triangle est la route directe d’Askabad à Merv, dont nous avons dit plus haut les difficultés. On comprendra, en regardant la carte, qu’une armée qui a sa base d’opérations sur la Caspienne, et qui est parvenue à s’établir à Askabad, tient la route de Saraks ; si elle était uniquement préoccupée de cet objectif, cette armée n’aurait que faire d’aller à Merv, détour inutile. Cela est si vrai que, dans une lecture à la Société royale de Londres, le 27 janvier 1879, l’Anglais le plus compétent sur ces questions, l’illustre sir H. Rawlinson, affirmait qu’une armée russe dirigée sur Merv serait forcée, pour éviter des difficultés insurmontables, de prendre la route