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tous ses efforts contre la Lorraine, au lieu d’envoyer une armée en Allemagne, et ajouté qu’il nous verrait attaquer de ce côté-là avec plaisir. Pour vous dire ce que je pense de cette confidence qui a été faite par ce ministre (à la suite de quelques réflexions sur le caractère du roi de Prusse et sur le peu de fond qu’il y a à faire sur lui et après qu’il m’avait dit qu’il avait horreur de cette duplicité) je pense qu’il a un peu chargé le tableau[1]. »

Il fallait bien le penser, en effet, ou du moins faire semblant afin de garder son sang-froid et de ne pas éclater de rire ou de colère quand Frédéric, à quelque temps de là, vint apporter au même Valori, du plus grand sérieux du monde, ses félicitations les plus chaleureuses sur le parti que prenait le cabinet français d’envoyer une armée vers le Rhin en même temps que des renforts à l’armée de Bavière. Cette fois, d’ailleurs, par extraordinaire, ces complimens étaient de bonne foi, car, repoussé dans sa double tentative, n’ayant réussi ni à désarmer l’Angleterre ni à faire armer l’empire, Frédéric, avec plus de sagesse que de fierté, se résignait à retirer ses menaces et à attendre paisiblement les bras croisés ce qu’allait décider dans cette lutte nouvelle le sort des combats. Dès lors, il lui importait que les Français, dont il faisait encore la veille si bon marché, retrouvassent par un retour de la roue de la fortune l’avantage dont il avait lui-même tant contribué à les priver. Leur victoire, au moins pour un temps, lui redevenait nécessaire pour éloigner de l’Allemagne l’invasion anglaise et rétablir l’équilibre dans le jeu des forces dont il voulait tenir la balance.

C’est le sentiment qu’il témoigna à Valori avec cette effusion de cordialité apparente qui accompagnait toujours chez lui les manifestations de l’intérêt personnel. « Hier, à la comédie, écrit Valori au roi, Podewils est venu à moi et m’a dit en propres termes que le roi son maître avait bu de bien bon cœur à la santé de Votre Majesté, sur l’avis certain des résolutions qu’elle avait prises pour soutenir par les plus grands moyens la cause de l’empereur… Ce prince vint peu de temps après, et à la grande inquiétude de lord Hyndford, du comte de Richecourt, et autres ministres étrangers,.. il me tira à part et me dit mot pour mot ce que je vais rapporter à Votre Majesté : « Mon ami, j’ai bu de bien bon cœur à la santé du roi votre maître. Ma foi, vive Louis XV ! J’y reboirai encore ce soir : je vous charge de le lui mander. Faites bien et vous serez content de moi. J’attends que vous donnerez sur les oreilles à mon oncle d’Angleterre ; pour lors vous me devrez bien quelques excuses. — Je voudrais bien, sire, lui répondis-je, être dans le cas de les faire

  1. Valori à Amelot, 8 janvier 1743. (Correspondance de Prusse. Ministère des affaires étrangères.)