Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

descendre le Danube et regagner sa capitale. « Le 4 de ce mois, écrit Robinson, la reine est rentrée à Vienne par le fleuve ; malgré tant de succès remportés pendant son absence, aucun cérémonial n’était prescrit pour son entrée ; mais l’élan des cœurs et les acclamations spontanées en ont fait un véritable triomphe. La cour avait l’ordre d’attendre Sa Majesté au palais où elle devait être reçue en gala, mais, dès le matin, toute la population désertant la ville, se porta d’elle-même à sa rencontre, en remontant les bords du fleuve jusqu’à une distance de deux milles allemands. « Quand l’embarcation parut en vue des murs de Vienne, la reine se fit voir sur l’avant, qui était élégamment décoré, et un immense applaudissement l’accueillit. Après avoir mis pied à terre au milieu d’une foule qui baisait ses pieds, ses mains et le bord de ses vêtemens, elle se dirigea vers le palais, où l’attendait, sur le péristyle, sa mère l’impératrice douairière, entourée de ses jeunes enfans. » Du haut d’une fenêtre ouverte, le jeune archiduc Joseph, encore dans les bras d’une gouvernante, lui faisait un signe caressant de la main en agitant un petit étendard.

Avant de se retirer dans ses appartemens, la reine s’arrêta dans la salle qui précédait sa chambre, et s’adressant à haute voix à l’assistance, elle remercia le ciel de ses faveurs pour la maison d’Autriche, et après Dieu le roi d’Angleterre. Ce jour et les suivans, toute la ville resta en liesse. — « Vous ne sauriez croire, écrivait le chargé d’allaires Vincent, à quel point cette nouvelle a porté l’arrogance des gens de ce pays-ci : j’y suis regardé comme le dernier des hommes et j’y mourrai de chagrin et de misère. Le peuple assemblé dans les rues fait un bruit épouvantable et menace en criant de massacrer tous les Français qui sont ici[1]. »

Mais l’orgueilleuse souveraine avait parlé trop haut, et les échos de sa voix portés à Berlin allaient arracher, par un réveil soudain, le plus redoutable des ennemis de l’Autriche à son inquiet et égoïste isolement. Quand Thérèse était portée sur le pavois, Frédéric ne pouvait plus dormir en paix.


Duc DE BROGLIE.

  1. Robinson à Carteret, 6 Juillet 1743. (Correspondance de Vienne. Record Office.) — Vincent à Amelot, 3 et 6 juillet. (Correspondance de Vienne. Ministère des affaires étrangères.) — D’Arneth, t. II.