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écrit un chapitre d’une vivacité ingénieuse où il démontre que la question de l’indépendance européenne est toujours en Orient, à Constantinople, que l’alliance de l’Angleterre et de la France peut seule résoudre cette question, qui domine toutes les autres. Le jour où cette alliance redeviendrait une réalité sérieuse, les combinaisons artificielles qui disposent de l’Europe ne disparaîtraient pas entièrement et du premier coup sans doute, elles rentreraient du moins dans leurs vraies limites et toutes les politiques reviendraient à leurs affinités naturelles. L’Autriche comprendrait que ses intérêts sont avec la France et l’Angleterre. L’Italie verrait qu’elle n’a rien à gagner aux alliances absolutistes. Ce n’est là, peut-être, qu’un rêve aujourd’hui, et ce n’est point, à coup sûr, le rêve du chancelier de Berlin. M. de Bismarck nous rappelle toujours Napoléon demandant, au commencement de l’empire, à un Italien éminent, un projet d’organisation pour la péninsule. L’Italien, tout naïvement, offrit un plan qui constituait une Italie indépendante, et comme Napoléon, impatiente, se récriait, son interlocuteur lui demanda si ce qu’il voulait était l’organisation de la suprématie française. « C’est cela ! » reprit vivement l’empereur. Il en est un peu ainsi du chancelier de Berlin avec ses combinaisons qui tendent toutes, plus ou moins, à assurer la prépondérance allemande, — et voilà pourquoi, même en aimant un peu plus la paix que Napoléon, M. de Bismarck ne peut réussir mieux que lui avec ses alliances changeantes créées arbitrairement par l’artifice d’une volonté impérieuse.

Les grandes affaires ne se font pas aisément, et les Anglais pour leur part sont occupés aujourd’hui à résoudre de graves questions extérieures et intérieures. Comment ils sortiront de ces affaires d’Egypte où ils se sont engagés sans rien prévoir, sans avoir mesuré ce qu’ils allaient faire, ils ne le savent pas bien eux-mêmes. Pressé chaque jour d’interpellations, de récriminations, harcelé de toutes parts, le ministère est réduit à répéter sans cesse qu’il ne veut ni annexer ni occuper indéfiniment l’Egypte, qu’il quittera la vallée du Nil aussitôt que le pays, sera pacifié. C’est la réponse invariable qui ne contente personne, pas même peut-être ceux qui la font. Il est bien clair que, pour le moment, tout dépend de l’action militaire, de la marche du général Graham qui après un premier avantage sur Osman-Digma et ses bandes de Bédouins, vient d’obtenir un nouveau succès dans un combat d’hier. Le général Graham réussira sans nul doute à dégager les abords de la Mer-Rouge, à mettre hors d’atteinte Souakim et quelques autres ports, en refoulant victorieusement les bandes du mahdi, en rétablissant une certaine sûreté là où flottera le drapeau anglais. Malheureusement ce n’est pas tout de vaincre les premiers Bédouins qu’on rencontre ; le succès définitif tient non-seulement à la marche