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voisine avec cet ambassadeur, qui lui remit un papier dont, autant que j’ai pu le voir de la chambre où j’étais resté, il n’eut pas l’air d’être mécontent. » Enfin, un peu plus tard, nouveau changement d’attitude. « Je ne suis pour rien dans tout ceci, disait-il à un ministre étranger, j’aime à voir ces gens-là se battre, et il m’est bien égal qui l’emporte. »

A travers ces hésitations qui, réelles ou calculées, n’en avaient pas moins l’effet de dépister tout effort fait pour pénétrer ses desseins, une seule chose était certaine, c’est qu’il remettait ostensiblement son armée sur le pied de guerre et réparait toutes ses forteresses, tant sur les frontières de Bohême que dans le voisinage du Rhin, de manière à les préserver de toute surprise. Évidemment il voyait le moment venir où il devait reparaître sur la scène, s’il ne voulait pas que le drame se dénouât sans son concours. Mais quel rôle prendrait-il et à quelle heure?.. Se remettrait-il avec les vaincus pour les aider à se relever ou avec les vainqueurs pour partager le butin ? C’est ce qu’il ne savait pas encore lui-même ou ne voulait pas laisser savoir. En attendant, Valori et Hyndford, aussi las que dégoûtés d’être si souvent trompés et de ne recevoir que des rebuffades, ne faisaient plus que se communiquer mutuellement leurs répugnances, et leurs dépêches, qu’on dirait copiées les unes sur les autres, envoyaient, à Versailles comme à Londres, ce refrain uniforme : « N’espérez jamais rien obtenir de cet homme-ci, quoi qu’il vous dise; il n’agira que le jour où il saura bien certainement de quel côté est la force ou bien où il se sentira menacé dans son intérêt personnel[1]. »


II.

A défaut cependant des ministres ordinaires de la diplomatie régulière qui donnaient ainsi la démission de leur métier, un ambassadeur vraiment extraordinaire se rencontra pour tenter encore l’aventure. Celui-là ne fut autre que Voltaire, qui, s’étant déjà employé une fois dans une mission officieuse de ce genre sans beaucoup de succès, n’aurait pas dû être bien tenté de revenir à la charge. Comment il se laissa engager de nouveau dans une seconde entreprise, qui ne devait pas mieux réussir que la première, et comment il s’en acquitta, c’est une histoire qui vaut la peine d’être contée avec quelque détail, car c’est peut-être l’un des plus curieux

  1. Valori à Amelot, 18 juin, 16 juillet 1743. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Hyndford à Carteret, 6, 16 juillet, 15 août 1743. (Record Office.) — Frédéric au comte de Rottenbourg, 3, 13 juillet 1743. (Pol. Corr., t. II, p. 381, 385.)