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à la succession du cardinal de Fleury pour le fauteuil que la mort de ce ministre laissait vacant à l’Académie française ? Que Voltaire, à près de cinquante ans, après Œdipe, Brutus, Zaïre, et tant d’autres triomphes, n’eût point encore fait son entrée à l’Académie, c’est ce que notre génération aura peine à croire, et ce dont l’Académie n’a point à se vanter. « S’il n’en est pas, qui est-ce qui en est donc? » disait un petit souverain d’Allemagne, et chacun de nous est prêt à faire la même réflexion. Mais qu’après avoir attendu si longtemps pour se mettre en avant (sans doute parce qu’il connaissait la nature des obstacles qu’il devait rencontrer) il ait choisi pour les braver le jour où il aurait à prendre la place d’un prince de l’église, c’est de quoi il y a lieu aussi d’être surpris. L’éloge du cardinal de Fleury, au point de vue religieux présentait déjà plus d’une difficulté; mais dans la bouche de l’auteur des Lettres philosophiques, c’eût été une étrangeté touchant à l’inconvenance. Le roi, pourtant, dit-on, désirant entendre bien parler de son ancien maître, avait paru donner son agrément à une candidature si mal appropriée à la circonstance; mais il fut bientôt averti du scandale par les réclamations de tout le parti religieux, encore très puissant à la cour, et représenté à l’Académie même par l’archevêque de Sens, Lenglet, auteur d’une Vie de Marie Alacoque et par le théatin Boyer, évêque démissionnaire de Mirepoix. Ce dernier venait, en outre, d’être chargé de présenter à la signature royale toutes les nominations aux dignités ecclésiastiques et, à ce titre, il se croyait investi d’un droit de contrôle à l’égard de toutes les fonctions qui pouvaient exercer une action sur l’état des mœurs et de l’esprit publics, et l’Académie au premier chef lui paraissait de ce nombre.

A la vérité, aux scrupules qu’on faisait naître dans la conscience du roi, Voltaire pouvait se flatter d’opposer l’attrait du charme qui touchait son cœur, car par l’intermédiaire d’un ami commun le duc de Richelieu, il s’était assuré du concours très empressé de Mme de La Tournelle. Mais cette alliance elle-même n’était pas sans inconvénient, car elle avait déterminé sur-le-champ l’hostilité déclarée du ministre Maurepas, toujours mal vu de sa cousine, et qui trouvait l’occasion favorable pour la contrarier. Maurepas, le plus léger, le plus frivole des ministres qui aient jamais pris part au gouvernement d’un état, avait dans son département les rapports avec les théâtres et les gens de lettres, et tout en continuant à composer pour son compte et à collectionner des chansons obscènes il n’en prit pas moins parti avec éclat pour la religion et la morale outragées.

A toutes ces oppositions combinées Voltaire fit tête avec toutes