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avec le comte de Podewils, en l’engageant à écrire au roi son maître, dans un esprit tout français. Comment concilier cette manière de se conduire envers ce ministre avec la disposition d’un homme sorti de France mécontent ?.. Je lui ai donc conseillé de déposer toute cette fiction et, quand il verrait le roi de Prusse, de couper court sur ce point en répondant laconiquement à ce prince qu’il ne pouvait être que très content puisqu’il se voyait arrivé auprès de lui. Après ce début, ce serait à lui de se prévaloir, sans mélange de déguisement, des occasions que la familiarité du prince lui donnerait de placer à propos toutes les réflexions lumineuses que lui fournissait votre dépêche, que je lui ai remise, et dont il ne pouvait trop se remplir pour en former son langage. J’ai dit aussi ma pensée à M. de Voltaire sur ses idées au sujet de M. van Haren. Puisqu’il s’était avancé jusqu’à lui parler de l’ambassade en France et à le flatter des agrémens personnels qu’il y trouverait, il était sans doute de son devoir et de sa fidélité de vous rapporter l’impression qu’il se figurait lui avoir faite et ce qu’il en espérait pour le changer en notre faveur. Mais j’ai, en même temps, averti M. de Voltaire de l’obligation où je me croyais, de mon côté, de vous donner à considérer le revers de la médaille, de ce qui pourrait être regardé comme une recherche de la part de M. van Haren. Je ne connaissais rien de plus propre à nous faire tomber, ici, dans le mépris et à confirmer l’opinion que l’on voudrait si fort accréditer, de notre faiblesse, et qu’elle est si grande qu’il n’y a rien que nous ne soyons disposés à subir pour nous tirer d’embarras… Il y avait une autre manière de s’y prendre avec M. van Haren, et qui, à mon jugement, serait la seule décente : au lieu de le flatter, on pourrait profiter du désir que M. de Voltaire croit lui avoir reconnu de pouvoir figurer en France pour lui remontrer avec ménagement, mais néanmoins sans lui dissimuler la vérité, combien il a à réparer avant de pouvoir concevoir l’espérance de rien de semblable. On pourrait en même temps lui représenter notre cour comme n’étant point implacable, et la France comme pleine de gens qui sauraient priser ses talens et lui faire honneur quand on l’aurait vu faire des démarches qui marquassent que, s’il s’était laissé aller à son feu dans la cause qu’il avait prise en main, il savait en revenir quand il était temps et qu’il n’y a plus de prétexte d’animer cette république contre la France. Il faut bien du temps et une longue expérience de ce pays-ci pour ne se pas méprendre dans le discernement à y faire des choses… Enfin, concluait Fénelon, quand j’aurais parlé à mon fils, je n’aurais su lui dire rien de plus pour lui indiquer les moyens de réussir. » Ces réflexions étaient si sages qu’à Paris on s’y rendit sans peine