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asile : « Entrez vite, chauffez-vous ; réchauffez l’enfant, qui a froid, » et, à côté du lit de la mère, on a installé la bercelonnette. Dans plus d’un cas, c’est une femme qui accourt, qui frappe en hâte, car elle va devenir mère. Bien vite on va chercher un fiacre, et une des neuf religieuses qui composent la congrégation de Paris la conduit à la Maternité, où elle n’arrive pas toujours à temps. Lorsque la malheureuse a quitté les salles de l’hôpital que l’Assistance publique a ouvertes pour elle, lorsque, chancelante encore, affaiblie par la souffrance et inquiète d’un double avenir, elle peut marcher pendant une heure, elle revient à la maison d’Auteuil, où on lui fait place, où on la soigne, où on lui enseigne le travail dont elle pourra vivre et faire vivre son enfant. Pour ces pauvres filles que le vice a déjà touchées du doigt et qu’on ne parvient à lui arracher qu’à force de commisération, une précaution touchante est prise par les sœurs de l’Hospitalité. Quel que soit l’âge, quel que soit l’état civil d’une femme, dès qu’elle est admise dans la maison, on ne l’appelle que madame, et jamais on ne prononce son nom de famille. C’est Mme Louise ou Mme Antoinette, eût-elle seize ans, fût-elle grand’mère. En outre, on a remarqué que les filles mères ont une propension presque invincible à parler de leur enfant, à en raconter les gentillesses ou à se plaindre des sacrifices qu’il impose. Par une délicatesse féminine que je trouve exquise, la supérieure remet à ces malheureuses une bague de cuivre qui simule l’alliance, cet emblème visible du mariage que la femme du peuple ne quitte jamais et qui, pour elle, constate son droit au respect. Supercherie ingénieuse et qui n’a rien de frivole, car elle arrête les suppositions injurieuses et les propos désobligeans. Lorsqu’une femme se présente, la supérieure l’interroge : « Êtes-vous mariée ? — Non. — Avez-vous un enfant ? — Oui. — Bien ! Mettez cette bague à votre doigt. » L’honneur est sauf, et le cœur maternel pourra s’épancher sans péril.

La maison est bonne et les cœurs y sont compatissans ; cependant elle ne peut garder, elle ne peut aider la femme dans les durs travaux qui succèdent à une faute. Ainsi que je viens de le dire, elle s’en sépare momentanément ; elle y est forcée. Ni là ni ailleurs, la charité chrétienne ne s’intéresse à ces malheureuses dans l’instant le plus redoutable de leur existence. femmes, femmes irréprochables, mères dévouées, aïeules fières de votre lignée, pensez aux filles mères ; oubliez le péché, ne considérez que le désastre ; ne continuez pas à vous détourner d’elles ; ne punissez pas la preuve de la faute plus que la faute elle-même, dont le résultat seul est le plus cruel des châtimens ; songez à tant de misère, à tant de jeunesse perdue, à toute une existence compromise pour une heure